ORIGINAL PAPERS / ARTICLES ORIGINAUX
APPROCHE SOCIO-CULTURELLE DE L’EPILEPSIE EN COTE D’IVOIRE
SOCIOCULTURAL APPROACH OF EPILEPSY IN IVORY COAST
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RESUME Contexte Objectif Matériel et méthodes Résultats Conclusion Mots-clés: approche socioculturelle, Côte d’Ivoire, épilepsie, perception, préjugés. ABSTRACT Background Material and methods Results Conclusion Keywords: Côte d’Ivoire, epilepsy, Ivory Coast, sociocultural approach, stigma. INTRODUCTION Si dans les pays développés, une forte sensibilisation a permis une meilleure connaissance et une meilleure acceptation de l’épilepsie, en Afrique, l’épileptique est encore trop souvent stigmatisé, du fait de la méconnaissance de la maladie et des croyances surnaturelles ou mystiques (8) En Côte d’Ivoire, les travaux de Amani et al. (3) et Assi et al. (4) ont été consacrés à certains aspects socioculturels de l’épilepsie. Notre enquête concerne la connaissance et la perception de la maladie par l’entourage proche des personnes épileptiques suivies en milieu hospitalier neurologique. PATIENTS ET METHODES Il s’est agi d’une étude prospective et descriptive menée pendant 9 mois, de février à novembre 2010, dans le service de neurologie du CHU de Yopougon. L’enquête a été réalisée auprès des personnes qui accompagnaient un patient en consultation d’épileptologie dans le service durant la période d’étude. Les 50 personnes incluses dans l’étude étaient âgées d’au moins 15 ans, et avaient donné leur consentement verbal pour participer à l’enquête. Elles ont répondu à un questionnaire de 32 items portant sur leur identité, leurs connaissances et croyances sur l’épilepsie, les dénominations traditionnelles de la maladie, leurs attitudes face à une crise généralisée, leur perception de la place de l’épileptique dans la société et leur désir d’information sur la maladie. L’interrogatoire a été réalisé lors d’un entretien individuel qui se déroulait dans le service de neurologie, avant ou après la consultation, et dans certains cas au domicile des malades. Les données recueillies ont été codées puis analysées sur un logiciel Microsoft Excel, et une analyse statistique a été faite sur un logiciel Epi Data. RESULTATS L’âge moyen des enquêtés était égal à 32 ans avec des extrêmes de 15 et 60 ans. 58% des sujets étaient de sexe féminin. L’échantillon était composé uniquement d’Ivoiriens issus des groupes ethniques Mandé (48%), Akan (32%) et Krou (20%) Ils étaient chrétiens dans 72% des cas, musulmans dans 24% et animistes dans 4%. La moitié (52%) avait un niveau universitaire et le ¼ n’était pas scolarisé. Toutes les personnes ayant participé à l’enquête appartenaient à l’entourage immédiat du patient. Il s’agissait de la mère (40%), d’un membre de la fratrie (18%), du père (14%) et dans 28% des cas, de cousins, tantes, conjoints et voisins proches. Si 86% des sujets interrogés ont estimé être peu informés sur l’épilepsie, 98% avaient déjà vu se dérouler une crise. La crise la plus décrite était la crise tonico-clonique généralisée (56%). Les manifestations les plus citées étaient la chute et les convulsions (97,9%), l’hypersalivation (79,5%) et la perte de connaissance (67,3%). 54% ont pu donner un nom traditionnel et la signification de l’épilepsie. Dans certains groupes ethniques, il existe plusieurs dénominations (tableau I). Pour 10% des enquêtés, l’épilepsie était une maladie. Elle était considérée comme grave dans 92% des cas, à cause des risques d’accidents lors des crises (brûlures, noyades et traumatismes crâniens). 56% ne faisaient pas de différence entre la crise et la maladie. 50% des sujets citaient les facteurs déclenchants des crises. Il s’agissait: du non-respect des interdits (24%), de la fièvre (10%), de la fatigue (10%), des céphalées (4%) et le froid (2%). La fièvre a été citée à la fois comme cause et facteur déclenchant. Les traumatismes crâniens et le mauvais sort ont été considérés comme les autres causes les plus fréquentes. La contagiosité a été exprimée par 14% des enquêtés et le caractère héréditaire par 30%. Pour 42%, l’épilepsie était due à une possession diabolique, et pour 24%, elle conférait des pouvoirs ou des dons particuliers. 64% ont assimilé l’épilepsie à la folie. L’épilepsie était une maladie curable pour 72% des enquêtés, et le meilleur traitement était l’association du traitement moderne au traitement traditionnel (70%). Devant une crise grand mal, 96% des enquêtés conduiraient l’épileptique à l’hôpital, 42% chez un guérisseur, 58% dans une église et 79% feraient une prière sur place. Pour la majorité des sujets enquêtés, l’épileptique pouvait mener une vie sociale normale: être scolarisé, se marier et avoir des enfants, avoir des amis, regarder la télévision jouer aux jeux vidéo. Des préjugés persistaient concernant la conduite automobile, l’exercice des postes de responsabilité, la résistance à certaines maladies comme le paludisme. Le tableau II résume la perception socioculturelle de l’épilepsie de nos enquêtés. COMMENTAIRES 92% de nos enquêtés considéraient l’épilepsie comme une maladie grave. Ce constat est également établi par Assi et al. (4), chez 81,3% des étudiants ivoiriens et 63% des Français dans l’enquête de population de la Société Française d’Enquêtes par Sondages SOFRES (15). 98% des personnes interrogées avaient déjà été témoins d’une crise d’épilepsie, comme 85,7% des étudiants ivoiriens (4), 78,3% des élèves centrafricains (10), 78% des enquêtés maliens (2) et 56% des enquêtés de la SOFRES (15). La crise grand mal, la plus spectaculaire, était la mieux décrite, ce qui confirme la méconnaissance des autres types de crise. Ce même constat est fait par d’autres auteurs au Bénin et au Mali(1,2,9). Les signes de la crise grand mal étaient correctement cités par 98% de nos enquêtés et par 77% des Français (15). Notre étude, après celle d’Amani et al. (3), confirme qu’en Côte d’Ivoire, comme ailleurs en Afrique, il existe plusieurs dénominations traditionnelles de l’épilepsie selon les groupes culturels. Ces dénominations traduisent certaines manifestations cliniques de la crise grand mal ou font référence aux circonstances d’apparition de la crise. Ainsi, un même mode de désignation est retrouvé dans des peuples différents (3): kifafa (waporo, Tanzanie): être à demi-mort (perte de connaissance); kenouwaté (soninké, Mali), adigbè (fon, Bénin): maladie qui fait tomber; nwaa (bamiléké, Cameroun): jeter la personne à terre; kirikirimasien (littéralement, de kirikiri: s’agiter, mais aussi kirin (bambara, Mali): s’évanouir, perdre connaissance, associé à l’onomatopée masien; ibi-fkougni (kirundi, Burundi): maladie qui fait ronfler (phase stertoreuse). En Bolivie, l’épilepsie est appelée mano-mano, un terme qui désigne un passage constant entre la vie et la mort (5). En Centrafrique, elle est connue sous le nom de kobéla ti makako (maladie qui fait grimacer comme le singe) (10). Dans 64% des cas, l’épilepsie était assimilée à une maladie psychiatrique. Soixante-dix pour cent des étudiants malais (6), 31,7% des étudiants ivoiriens (4) et 3% des Français (15) assimilent l’épilepsie à la folie ou à une maladie mentale. Dans notre étude, 42% des personnes interrogées attribuaient l’épilepsie à une possession diabolique et 46% l’assimilaient à une maladie surnaturelle. Dans d’autres régions, elle a été associée au surnaturel et aux dieux. En effet, selon les croyances sud-asiatiques, l’épilepsie serait due au destin et à la volonté de Dieu ou à une punition pour des péchés dans une vie antérieure (7). Ces mêmes croyances ont été rapportées par d’autres auteurs (6,14). Quatorze pour cent seulement des personnes interrogées croyaient que l’épilepsie était une maladie contagieuse. Ce faible taux est dû probablement au fait que, la plupart (71%) des enquêtés, ayant déjà accompagné au moins une fois en consultation leur malade, avaient déjà reçu quelques informations sur l’épilepsie. Ce taux est élevé, comparé à celui relevé chez les étudiants malais (4,9%) (4) et dans la population française (1%) (15). En Afrique, les taux sont très élevés concernant la croyance de contagiosité: 90,6% des enquêtés béninois (1), 90% des étudiants ivoiriens (4), 79,7% des élèves centrafricains (10), 59% des enquêtés maliens (2), 44% des tradipraticiens burkinabés (11), 39% des enseignants maliens (9) et 24% des enseignants sénégalais (12). La salive a été citée comme un mode de contamination. C’est le cas ailleurs en Afrique: pour 98,1% des enquêtés d’une communauté rurale au nord Bénin (1), 88,9% des élèves centrafricains (10), 38,6% des Burundais (13). En milieu rural bambara au Mali, 4 modes de transmission sont incriminés: contact avec le malade, «bave moussante» émise au cours d’une crise; sorcellerie et «lien de lignée» où la femme enceinte est l’agent principal et le sang, le vecteur (2). La crainte de la transmission de l’épilepsie à la lignée existait chez 30% de nos enquêtées. Elle concerne toutes les couches socioprofessionnelles (6,11,15). La majorité (72%) des personnes interrogées considérait que l’épilepsie était curable. Ce taux élevé se rapproche de ceux relevés chez les enseignants sénégalais (73%) (12), et à un moindre degré des taux d’Assi et al. (4) (63%), et de l’enquête de la SOFRES (15) (61%). Notre enquête a été réalisée dans l’entourage immédiat des épileptiques auprès de personnes reçues en consultation d’épileptologie, donc souvent déjà sensibilisées. Mais la réputation de maladie incurable attribuée à l’épilepsie, reste répandue dans les croyances populaires et parfois même chez certains guérisseurs. Ainsi, au Burkina Faso, 24% des tradipraticiens avouent leur incapacité à guérir l’épilepsie (11). Dans notre étude réalisée en milieu urbain, encore 26% des sujets conservaient cette croyance. Les données de la littérature rapportent que 61% des enseignants maliens (9), 46,3% des étudiants malais (6) 56% des épileptiques et 52,3% des personnes non épileptiques au Burundi en milieu rural (13), croient que l’épilepsie est incurable. La place de la médecine traditionnelle dans le traitement de l’épilepsie est importante, car pour 77,8% des personnes qui croyaient que l’épilepsie était une maladie curable, le meilleur traitement était l’association de la médecine traditionnelle à la médecine moderne. Ce même constat fait par Assi et al. (4) dans 42,6% des cas, et par Obiako et al. (14) dans 21% des cas, peut expliquer le recours encore souvent systématique aux thérapeutes traditionnels et aux guérisseurs. Au nord Bénin, l’épilepsie était considérée comme une maladie guérissable seulement par la médecine traditionnelle, par 99,4% des enquêtés (1). Dans les communautés Sud-Asiatiques vivant en Angleterre, certains malades ont également recours aux guérisseurs (7). Il ne parait donc pas utile d’opposer médecine traditionnelle et médecine moderne car elles sont complémentaires, selon 75% des tradipraticiens Burkinabés (11) et les enquêtés de l’étude anthropologique réalisée en Bolivie (5). Les professionnels de la santé doivent donc connaître ces croyances populaires car, en cas d’échec de la médecine moderne, le patient souvent découragé et résigné, peut être de nouveau conduit à consulter les guérisseurs (7). Dans notre étude, 86% des personnes ont déclaré être capables de s’approcher sans crainte, et même de toucher l’épileptique au cours d’une crise grand mal pour lui porter secours. Cette attitude s’explique par le fait que ces sujets faisant partie de l’entourage immédiat, ont un lien affectif fort avec le patient et sont déjà sensibilisés. 38% de nos enquêtés empêcheraient l’épileptique de se blesser au cours d’une crise grand mal. En France et à Hong Kong, 50% et 52% des personnes interrogées introduiraient un objet dans sa bouche pour empêcher la morsure de la langue (6,15). Devant une crise grand mal, 39% des enquêtés auraient recours aux prières, de même que 65,7% des étudiants ivoiriens (4) et 30,9% des élèves centrafricains (10). Cette attitude religieuse pourrait avoir un lien avec le récit biblique de la guérison de l’épileptique. La perception négative de l’épilepsie a des conséquences sur le statut social de l’épileptique avec des difficultés de scolarisation et pour l’obtention ou la conservation d’un emploi ou l’impossibilité de se marier (1). Dans une revue de la littérature, sur la décennie de 2000 à 2010, réalisée par Lua et Neni, concernant les connaissances et les attitudes vis-à-vis de l’épilepsie, les personnes interrogées dans les pays développés (Etats-Unis d’Amérique, Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande, Grèce, France) ont manifesté un meilleur niveau de connaissance que les enquêtés des pays en développement (pays asiatiques, pays du Moyen-Orient et pays africains) (8). Dans notre étude, la majorité des personnes interrogées (94%) ont estimé que les épileptiques pouvaient se marier. Ce taux élevé peut s’expliquer par le fait que les enquêtés sont des proches du malade et que, la plupart des épileptiques sont des sujets jeunes pour lesquels les parents nourrissent l’espoir d’une guérison et d’une vie normale. Seulement 4% de nos enquêtés affirmaient qu’un épileptique ne peut être scolarisé, alors que dans d’autres études, les taux sont plus élevés: 88% au Mali (9), 52,5% au Burundi (13) et 41,7% en banlieue sénégalaise (12). Pour 43% des enseignants maliens (9) et enseignants sénégalais (12), l’enfant épileptique doit être scolarisé dans les écoles classiques. Quatre-vingt-deux pour cent des personnes interrogées, 67% des Français (15) et 50,7% des étudiants ivoiriens (4) pensent que l’épileptique ne peut exercer tous les métiers. L’entourage connait la notion de métiers à risques pour l’épileptique et pense que certaines fonctions comme celle de chef d’entreprise (38%) ou de village (42%) ne sont pas compatibles avec la maladie, en raison de son caractère honteux et invalidant. La peur des accidents liés aux crises entraîne une limitation des activités quotidiennes, domestiques, familiales ou professionnelles des malades. Ainsi, 76% des personnes enquêtées et 30% des Français (15) pensaient que la conduite automobile était dangereuse pour un épileptique. 30% des enquêtés pensaient que l’épileptique pouvait faire du sport. Ce taux est inférieur à ceux relevés chez les enseignants maliens (79%) (9), les français (77%) (15) et les étudiants malais (60%) (6). Pour 34% des enquêtés, lépileptique doit cacher sa maladie à son employeur pour éviter de perdre son emploi. Fatah et Rahman (6) rapportent que 70% des étudiants malais pensaient que l’épileptique ne doit pas cacher sa maladie. Selon l’étude de la SOFRES, 24% des français pensent que l’épileptique ne doit pas déclarer son état à l’employeur, car cela relève de sa vie privée (15). La dimension affective joue un rôle fondamental dans les réactions de l’entourage vis-à-vis du malade. Ainsi, dans le cadre étroit de la famille, il n’y a pas de véritable exclusion, notamment lorsque les ascendants biologiques et particulièrement la mère sont encore vivants. CONCLUSION Dans cette enquête réalisée en milieu neurologique et dans l’entourage proche des patients épileptiques, les croyances comme l’incurabilité, la contagiosité, l’exclusion scolaire et l’interdiction au mariage des épileptiques sont moins fortes. Mais, l’origine surnaturelle et l’assimilation de l’épilepsie à la folie restent omniprésentes, avec comme conséquence, la stigmatisation des patients. Ces résultats suggèrent que l’effort de sensibilisation fait par l’Association Ivoirienne de Lutte contre l’Epilepsie (AILE) a un impact positif sur l’entourage des malades. La persistance de croyances négatives incite à poursuivre les campagnes de sensibilisation, d’autant que le besoin d’information est clairement formulé. Tableau I: Dénominations et significations de l’épilepsie en fonction des groupes culturels ivoiriens
Tableau II: Répercussion des perceptions socioculturelles sur la vie sociale de l’épileptique
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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