AJNS
CLINICAL STUDIES / ETUDES CLINIQUES
 
ASPECTS CLINIQUES ET ETIOLOGIQUES DES EPILEPSIES DANS UN SERVICE DE NEUROLOGIE A NOUAKCHOTT, MAURITANIE



  1. Centre Neuro-psychiatrique, BP 1655, Nouakchott 59528, Mauritanie
  2. Institut de Neurologie Tropicale, 2,rue du Dr Marcland, 87025 Limoges, France

E-Mail Contact - TRAORE Hamidou :


RESUME

Introduction

Les épilepsies dans la pratique médicale quotidienne constituent une cause majeure de consultation en Neurologie en Mauritanie. Sa fréquence en population générale est autour de 8 ‰. En étudiant l’épilepsie mal connue en Mauritanie, sous les aspects cliniques et étiologiques, cet article se propose de découvrir les spécificités de cette affection dans ce pays.

Objectif

Le but de ce travail est de montrer les réalités de l’épilepsie en milieu hospitalier et de discuter les avantages et les inconvénients de l’application d’un questionnaire standardisé.

Méthodes

Cent cinquante patients épileptiques Mauritaniens ont été examinés de manière prospective en 1997 et ont répondu au questionnaire d’investigation de l’épilepsie en zone tropicale recommandé par la Ligue Internationale Contre l’Epilepsie.

Résultats

Les crises généralisées représentent 58,7 % des cas contre 41,3 % de crises partielles. Les crises sont le plus souvent déclenchées pour la première fois par la fièvre. Les antécédents de crises existent dans 10,7 % des cas. Les facteurs infectieux sont peu en cause (17,5 %), certainement à cause de la bonne couverture vaccinale (89,3 %). Le bilan étiologique est insuffisant et la thérapeutique a recours au phénobarbital en première intention.

Conclusion

Malgré l’insuffisance des examens complémentaires, l’application d’un questionnaire standardisé a permis de mieux connaître les facteurs favorisants des crises épileptiques. Les perspectives d’avenir porteront sur l’étude en population générale et l’approfondissement du bilan complémentaire.

Mots clés : Afrique, épidémiologie, épilepsie, Mauritanie


ABSTRACT

Background

Epilepsy constitutes a very frequent clinical presentation in our outpatient clinic of Neurology in Mauritania. Its frequency in general population is at least 8‰.

Objective

The purpose of this paper is to describe the specificities of epilepsy in this country, in particular the clinical and etiological aspects. The aim of this work is to demonstrate the daily realities of epilepsy in our hospital and also to discuss the interests and the limits of a standardised questionnaire.

Methods

One hundred and fifty epileptic Mauritanian patients were examined prospectively in 1997 and were interviewed by the questionnaire for investigation of epilepsy in tropical countries, supported by the International League Against Epilepsy.

Results

Generalized tonic clonic seizures constitute 58.7% of the cases compared to 41.3% of partial seizures. Fever was often a precipitating factor for the onset of the seizures. A family past medical history of seizures was described in 10.7% of the cases. Infectious factors were unfrequent (17.5%) probably because of the good vaccinal coverage (89.3%). The etiological paraclinical exams were insufficient and the treatment was phenobarbital, at least as first line drug.

Conclusion

The application of a standardised questionnaire allows a better understanding of the precipitating factors of the epileptic seizures. Perspectives will be to initiate a study in the general population and the extension of the paraclinical examinations.

Keywords: Africa, epidemiology , epilepsy, Mauritania

INTRODUCTION

L’épilepsie surtout dans sa forme convulsive généralisée est une affection mal connue en Mauritanie où elle est assimilée à une maladie des djinns ou chaïtane (Satan).

Dans la pratique quotidienne, l’épilepsie et les accidents vasculaires cérébraux représentent les causes majeures de consultation en Neurologie en Mauritanie. Cette étude porte sur 150 patients et permet une vision globale des nombreux aspects de l’épilepsie. Le but de ce travail était de dégager les aspects cliniques de l’Epilepsie et de tenter d’en révéler certaines caractéristiques étiologiques en Mauritanie.

METHODOLOGIE

Cette étude a été réalisée de manière prospective en 1997. Tous les patients retenus ont fait au moins 2 crises épileptiques au cours de leur existence. Le questionnaire utilisé a été celui de l’Institut d’Epidémiologie neurologique et de Neurologie Tropicale de Limoges soutenu par la Ligue Internationale Contre l’Epilepsie (10). Les patients ont été vus en consultation externe dans le Service de Neurologie du Centre Neuro- Psychiatrique de Nouakchott en Mauritanie. Le recueil des données s’est effectué grâce à de nombreuses consultations avec le patient et son entourage immédiat.

RESULTATS

1) Les antécédents

Des antécédents familiaux d’épilepsie ont été retrouvés dans 10,7% des cas. Ces antécédents ont été retrouvés dans 43,7% chez les frères et soeurs contre 12,5% chez les mères et 5,5% chez les pères. Le déroulement de la grossesse était normal dans 64,7 % des cas, et anormal dans 9,3 % des cas. Il a été non précisé dans 26 % des cas. Au cours de leur grossesse, 10 mères avaient présenté des convulsions, une toxémie gravidique ou une menace d’avortement. 10 % de ces mères ont eu au cours de leur grossesse des antécédents de prise de médicaments. Parmi ceux-ci, on a trouvé des antiasthmatiques, des neuroleptiques, des traitements pour menace d’avortement, des perfusions de nature non précisée.
Le lieu de naissance était à domicile pour 46,7 % des cas, dans la case de santé 12,0 %, au dispensaire 11,3 % ou à l’hôpital 30,0 %. On remarque que les structures de santé ne sont utilisées que dans 53,3 %, ce qui laisse supposer des conditions inappropriées pour un accouchement adéquat. Malgré tout, l’accouchement a été jugé normal dans 85,3 % et anormal dans 5,3 %. Dans 9,4 % des cas, il a été impossible de préciser. Le temps de travail était long et pénible dans 8,6 % des cas, normal dans 64,7 % et non apprécié dans 26,7 %. Le recours à l’anesthésie générale pour césarienne a été fait seulement dans 2,0 % des cas. L’utilisation de moyens physiques, comme les forceps, n’ont été employés que dans 5,4 % des cas, alors que 93,3 % n’y ont eu pas recours. Pour 1,3 %, aucune précision n’a été donnée. Il a été fait état d’un taux de prématurité de 2,7 % et de naissance à terme de 90 %. Pour 7,3 % aucune précision n’a été indiquée.
L’évaluation de la souffrance périnatale a démontré que 58 % des nouveau-nés avaient crié immédiatement contre 8,7 %. Mais aucune précision n’a été fournie pour 33,3 % des cas. La notion de réanimation a été retrouvée seulement pour 6,7 % des naissances contre 88 %, et il n’y a eu aucune précision pour 5,3 %. Le placement dans une couveuse a été siganlé dans seulement 0,9 % des cas. La durée moyenne de l’allaitement maternel était de 21 jours.
Le développement psychomoteur dans l’enfance était jugé normal pour 90 % et anormal pour 5,3 %. Pour 4,7 % des cas, il n’y a pas eu de précision. Les troubles rencontrés ont été une dysarthrie et des retards du langage parlé, de la marche et de la parole, ainsi que de la position assise. L’état vaccinal a été de précision très difficile car malgré l’institution du Programme Elargi de Vaccination (PEV), la régularité des séances de vaccination a été différente et pas toujours respectée. L’utilisation de vaccination a été faite dans 89,3 % des cas.
On a retrouvé des antécédents de rougeole chez 11,3 % des patients, d’encéphalite et/ou encéphalopathie 5,3 %, de méningite 0,9 %. Un traumatisme crânien avec perte de connaissance a été retrouvé dans 6 % des cas. 7 patients avainet présenté un coma prolongé post-traumatique.
Les affections associées étaient variées car on a retrouvé dans les causes d’hospitalisation des patients, outre l’épilepsie (5,4 %), d’autres affections comme les pneumopathies, le paludisme, la rougeole, la malnutrition, l’hypertension artérielle, les traumatismes crâniens. Des séquelles neurologiques de ces affections ont été retrouvé dans 10,7 % des cas.

2) L’histoire de la maladie

L’épilepsie dans cette étude était idiopathique dans 20,7 % contre 32 % de formes symptomatiques avec lésions cérébrales non évolutives, 4 % de causes symptomatiques évolutives et 43,3 % de formes cryptogéniques.
Les crises généralisées constituaient 58,7 % de cas contre 41,3 % des crises partielles.
L’âge de survenue de la première crise était variable : au cours des 10 premiers jours de vie à l’âge de 2 ans on a retrouvé 21,3 % des cas. De l’âge de 2 ans à 20 ans, on a rencontré 59,4 % des cas contre 17,3% entre l’âge de 20 ans à 40 ans. Dans 2 % des cas, on n’a pas pu situer la date.

3) Les facteurs déclenchants

L’émotion a été un facteur retrouvé dans 8,7 % des cas ; le sommeil déclenche les crises dans 18,7 % des cas, la privation du sommeil dans 3,3 % des cas ; une crise au réveil a été signalée dans 2,6 %. Dans 14 % des cas, l’arrêt du traitement a déclenché les crises. Dans 2,7 % des cas, l’arrêt du traitement n’a pas déclenché de crise. Dans 83,3 % il n’y a pas eu cette notion d’arrêt du traitement, soit parce que le malade prennait régulièrement son traitement, soit parce qu’il n’était pas encore sous traitement.

4) Les signes associés sont multiples et variés

Les sujets se plaignaient en effet de céphalées, de troubles visuels, diabète, hypertension artérielle, douleurs abdominales, bronchite chronique, d’hypersialorrhée, séquelles d’hémiplégie ou de monoplégie, dysenterie, troubles de la marche, retard intellectuel, angines à répétition et séquelles post-fracture.

5) L’examen neurologique

L’examen neurologique retrouvait une hémiplégie dans 10,7 %, une paraplégie dans 2 %, une monoplégie dans 2,9 %, une paralysie oculomotrice dans 2,7 %, un syndrome pyramidal dans 10,7 %, un trouble du langage dans 10 %, une malformation crânio-encéphalique dans 1,3 %. Des troubles psychiques ont été rencontrés dans 4 % des cas, un retard mental dans 8 % des cas.

6) Les examens complémentaires

L’EEG a été fait dans 78 % des cas et était anormal dans 67,5 % des cas. Les anomalies retrouvées étaient des pointes : 49,6 % une photosensibilité : 5,5 %, des pointes ondes focales : 3,6 % des ondes lentes focales : 12,7 %, des complexes pointes et polypointes ondes généralisées : 9,1 %, un ralentissement de l’ activité de fond : 9,1 %. Une corrélation électro-clinique a été mise en évidence dans 72,2 % des cas. Le bilan microbiologique révèlait de nombreux parasites dans les selles dont l’essentiel étaut constitué de kystes d’amibes, de Giardia, d’Hyménolépis nana et d’ascaris.

DISCUSSION

Le dépistage de l’épilepsie est fait grâce à la description des symptômes qui est axée sur les pertes de connaissances, les pertes d’urines, l’émission de bave, les convulsions ainsi que les hallucinations auditives visuelles et olfactives. Ce catalogue de symptômes permet de définir divers types de crises d’épilepsies dont les formes généralisées représentent la grande majorité des cas 58,7 %. Force est tout de même de constater que 41,3 % sont des crises partielles. Ces proportions semblent différentes de celles couramment rencontrées ailleurs en Afrique où les crises partielles sont les plus fréquentes (12). L’entourage familial est souvent présent dans la consultation mais dans bien des cas, la crise partielle est négligée par rapport à l’aspect spectaculaire de la crise généralisée.
Dans la survenue des premières crises, la fièvre est le facteur le plus cité par l’entourage, ce qui est différent dans certains pays comme la Martinique où l’alcool est le facteur le plus cité (6).
Si nous sommes encore loin d’un consensus autour d’une proposition de classification sémiologique des crises épileptiques (7,8,10), le manque de matériel complémentaire dans la pratique neurologique en Afrique, oblige les uns et les autres à s’appuyer surtout sur la description des crises épileptiques.

L’utilisation de cinq langues en Mauritanie, suppose une maîtrise linguistique à adapter à chaque cas et une répétition de l’interrogatoire. Cet interrogatoire répété est fondamental et il s’adresse à tout l’entourage mais surtout à celle ou celui qui cohabite avec la ou le patient. En Mauritanie, au cours du premier contact, toute la famille élargie (parents, grands-parents, oncles, tantes, cousins…), est concernée et chacun des membres voudrait donner son avis. Mais dans la plupart du temps, seule une personne est en fait plus apte à donner des réponses exactes et suffisamment détaillées. Cette particularité de comportement du mauritanien explique la difficulté de situer le début des crises et leur description, mais aussi les facteurs déclenchants que l’entourage interprète souvent à tort. Il en est de même pour les autres facteurs de risque comme la grossesse et son déroulement, la période de travail et le lieu de naissance, la période de l’allaitement et la survenue de pathologies infectieuses.

10,7 % des cas étudiés présentent des antécédents familiaux d’épilepsie. Des études antérieures réalisées dans divers pays montrent des proportions d’antécédents familiaux qui vont de 3 à 60 % (9). La consanguinité est présente en Mauritanie, comme cela a été étudié par Gouider et al en 1998 dans les pays du Maghreb (3), qui retrouvait ce facteur dans 17 familles sur 19, dont 15 au premier degré.

Les programmes de lutte contre l’épilepsie dans les pays en développement doivent prendre en compte ces facteurs de risque car l’accouchement à domicile (46,7 %) reste encore important laissant supposer qu’un accouchement sur deux est fait sans garantie appropriée. La longueur du travail (8,6 %), le recours à l’anesthésie générale (2,0 %), le recours aux moyens physiques (5,4 %), la prématurité (2,7 %), sont autant d’indices orientant vers une cause lésionnelle de l’épilepsie. La souffrance périnatale est retrouvée dans 8,7 % des cas malgré une discordance apparente avec la notion de réanimation (6,7 %). L’état vaccinal semble satisfaisant dans l’ensemble, pour un pays en développement comme la Mauritanie (89,3 %). Mais il faut préciser que l’on vaccine uniquement dans le cadre des maladies cibles du programme élargi de vaccination (P.E.V.) telles que la diphtérie, le tétanos, la coqueluche, la poliomyélite, la tuberculose et la rougeole ; les autres maladies infectieuses ne sont pas prises en charge sur le plan vaccinal. Une pathologie infectieuse est présente dans les antécédents de 17,5 % des sujets étudiés. 6 % des patients ont des antécédents de traumatisme crânien avec perte de connaissance alors que Durand et al. (1) rapportent un taux de 3,4 %. Il est probable que l’association de crises précoces post-traumatique et la réelle épilepsie post-traumatique (origine tardive liée à des séquelles lésionnelles) est responsable de ce taux de 6 %. Selon Jallon et al. les causes les plus fréquentes en Martinique sont liées à la consommation d’alcool et aux traumatismes crâniens suivis des accidents vasculaires cérébraux (6). Mais comme partout sous les tropiques, les facteurs étiologiques les plus fréquents semblent d’ordre infectieux, notamment parasitaire. Cependant, les conditions de précarité font que tous les problèmes liés à la malnutrition, aux situations pré et post natales, sont précurseurs de crises épileptiques. Le bilan étiologique reste peu concluant dans un grand nombre de crises d’épilepsie (2).
Sur le plan thérapeutique, le phénobarbital est le médicament de première intention du fait du pouvoir d’achat de la population mauritanienne. Même si la pharmacocinétique simple et la faible fréquence des interactions médicamenteuses des nouveaux anti-épileptiques permettent leur utilisation facile (4), la monothérapie reste encore prépondérante. A ces causes réelles s’y ajoutent les problèmes d’accessibilité aux drogues liés aux problèmes logistiques (5).


REFERENCES

  1. DURAND G, JALLON P. Epidémiologie et Etiologie des épilepsies. Editions techniques, E.M.C. Neurologie 1994;17-045- A -35, 1994;10 P.
  2. FARNARIER G, GUEYE L. Facteurs de risques particuliers en Afrique. Epilepsies, 1998;10 :105-114.
  3. GOUIDER R, IBRAHIM S, FREDJ M, GARGOURI A, OUEZZANI R, MALAFOSSE A, YAHYAOUI M, GRID D, MRABET A. Maladies d’Unverricht – Lündborg : étude clinique et électrophysiologique de 19 familles magrébines. Rev. Neurol. (Paris) 1998 ;154 :503-507.
  4. JALLON P. L’utilisation des anti-épileptiques en monothérapie et polythérapie. Evolution des idées. Rev. Neurol. (Paris) 1997 ;153 :29-33.
  5. JALLON P, DUMAS M. L’épilepsie dans les pays en voie de développement. Epilepsies, 1998 ;10 :101-103.
  6. JALLON P, SMADJA D, CABRE P, LE MAB G, BAZIN M, VERNANT J-C., et le GROUPE EPIMART. Crises épileptiques, épilepsies et facteurs de risque. Expérience d’une enquête en Martinique. Rev. Neurol. (Paris), 1998 ;154 :408-411.
  7. KAHANE Ph. Le point de vue du localisationiste. Epilepsies, 1998 ;10 :280-281.
  8. LÜDERS H, MATON B. Classification sémiologique des crises épileptiques. Epilepsies, 1998 ;10 :265-276.
  9. PREUX PM. Contribution à la connaissance épidémiologique de l’épilepsie en Afrique subsaharienne. Thèse Doct. Université Santé Publique, Limoges, 2000, 386 p.
  10. PREUX PM, DRUET-CABANAC M, DEBROCK C, TAPIE Ph, DUMAS M. et le Comité de Recherche sur l’Epilepsie de l’Institut d’Epidémiologie Neurologique et de Neurologie Tropicale de Limoges. Questionnaire d’investigation de l’épilepsie dans les pays tropicaux. Bull Soc Pathol Exot, 2000 ;93 :276-278 et Suppl.4.
  11. ROGER J. Le point d’un ancien président de la commission de classification et de Terminologie de la Ligue Internationale contre l’épilepsie. Epilepsies, 1998 ;10:277-279.
  12. SENANAYAKE N, ROMAN GC. Epidemiology of epilepsy in the tropics. J Trop Geogr Neurol, 1992 ;2 :10-19.



© 2002-2018 African Journal of Neurological Sciences.
All rights reserved. Terms of use.
Tous droits réservés. Termes d'Utilisation.
ISSN: 1992-2647