CLINICAL STUDIES / ETUDES CLINIQUES
BILAN DE FONCTIONNEMENT D’UNE CLINIQUE DE LA MEMOIRE SENEGALAISE
ASSESSMENT OF A SENEGALESE MEMORY CLINIC
E-Mail Contact - NDIAYE Ndongo Ndéye Dialé :
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RESUME Description Objectif Méthode Résultats La démence était retrouvée dans 57 cas (43,2 %), le MCI dans 19 cas (14,4 %) et la dépression dans 7 cas (5,3 %). Quarante neuf patients ne présentaient aucun trouble. La démence de type Alzheimer était la plus fréquente (64,9 %), suivie de la démence vasculaire (17 %), de la démence frontotemporale (9 %), de la démence mixte (7 %) et de la démence à corps de Lewy (2 %). La plus grande prescription médicamenteuse était représentée par les antihypertenseurs suivie des antidépresseurs. Les anticholinestérasiques, qui constituent le seul traitement stabilisateur, n’ont été prescrits que chez 12 patients (9,1 %) par le neurologue. Conclusion Mots clés: Démence – MCI – Dépression – Troubles cognitifs – Afrique sub saharienne SUMMARY Objective Methods Results 98 % of patients live in family, 96.2 % have children, and 93.2 have sisters and brothers. 42 patients (31.8 %) are referred by a psychiatrist 29.5 % by a general practitioner and 16.7 % by a neurologist. Dementia is found in 43.2 %, MCI in 14.4 % and normal subjects are about 37.10 %. Alzheimer dementia is the most frequent (64.9 %). Vascular dementia is about 17 %, fronto temporal dementia 9 %, mixt dementia 7 %, Lewy bodies dementia 2 %. The antihypertensive drugs are mostly prescribed. The cholinesterase inhibitors, drugs of choice are prescribed for only 12 patients because of their expensive cost and availability in Africa. Conclusion Key words: cognitive impairment – memory clinic – dementia – Alzheimer disease – mild cognitive impairment – sub Saharan Africa INTRODUCTION Les troubles cognitifs désignent la détérioration des facultés intellectuelles: la mémoire, l’orientation, la concentration, l’attention, la capacité d’apprentissage, la pensée abstraite, le jugement, le langage. Cette détérioration peut atteindre une ou plusieurs de ces capacités, donnant des degrés croissant d’insuffisance cérébrale. Les troubles cognitifs majeurs sont représentés par la démence qui correspond à l’altération d’une ou plusieurs facultés intellectuelles, avec un retentissement important sur le mode de vie de l’individu. L’oubli bénin lié à l’âge ou MCI recouvre une altération cognitive intéressant plus la mémoire sans retentissement sur la vie quotidienne. Une évolutivité vers la démence de type Alzheimer est décrite. Environ 50% des cas d’oubli bénin lié à l’âge évoluent après quatre ans vers la maladie d’Alzheimer [25]. D’autre part, la dépression chez la personne âgée peut s’accompagner de troubles de la mémoire et du comportement, simulant ainsi un syndrome démentiel curable. Elle peut aussi parfois signer le début d’une démence. La présente étude a pour objectif de préciser la prévalence des MCI, de la dépression et de la démence dans une population de 132 personnes ayant consulté dans une clinique de mémoire au Sénégal. MATERIELS ET METHODE L’étude s’est déroulée au CHN de Fann dans la clinique de mémoire durant la période du 02 Janvier 2004 au 30 Juin 2005. En Décembre 2003, une clinique de Mémoire a été mise en place au niveau de la Clinique Neurologique du CHN de Fann. Jusqu’à ce jour, elle est au stade embryonnaire fonctionnant uniquement avec 3 personnes, un neurologue, une psychiatre et un étudiant en année de thèse, médecin généraliste qui s’intéressent aux troubles cognitifs. Cette clinique vise à prendre en charge tout patient référé pour troubles de la mémoire Les données sont celles collectées après un an de fonctionnement de la clinique de mémoire. Nous avons inclus tous les patients qui avaient consulté pour des troubles cognitifs, tout sexe, tout âge confondu. Ont été exclues toutes les personnes présentant une maladie empêchant l’administration de l’instrument de collecte de données: coma, psychose, aphasie, baisse importante de l’acuité visuelle et auditive. Cette recherche a reçu l’approbation du comité d’éthique du Ministère de la Santé et de la Prévention Médicale du Sénégal avant son démarrage. Un consentement éclairé avec la personne âgée ou son accompagnant était obtenu. Nous avons effectué le recueil des données à partir d’un questionnaire comportant les attributs socio démographiques, les antécédents médicaux, psychiatriques et familiaux, ainsi que le mode de vie (consommation d’alcool et de tabac), le réseau social. Les patients ont été soumis à un examen clinique (guide de l’examen clinique). L’évaluation neuropsychologique a été réalisée à l’aide du questionnaire «vieillir au Sénégal» qui comporte 4 parties: une partie évaluant les caractéristiques socio démographiques, la perception de la santé, les antécédents médicaux, psychiatriques et familiaux, les médications en cours, le mode de vie, le réseau social, une grille d’évaluation des capacités fonctionnelles [9], le test du Sénégal, et le test de HodKinson modifié et adapté [16]. Après évaluation neuropsychologique et examen clinique, un diagnostic est posé, un traitement et un suivi proposés. Les données recueillies ont été saisies et analysées à l’aide d’un ordinateur type PC avec le logiciel SPSS version 10.0 pour windows. Les résultats ont été exprimés avec un risque d’erreur de 5%. RESULTATS Cent trente deux patients ont été vus durant la période d’étude. La prédominance était masculine avec un sex ratio de 0,45. L’âge moyen était de 67ans +/- 13, avec des extrêmes de 18 et 90 ans. Vingt cinq patients (18,9 %) n’avaient aucune instruction. Trente patients (22,7 %) avaient le niveau secondaire complet. La majorité des patients était mariée 101 (76,5 %). Vingt patients (15,2 %) étaient veufs et seuls 5 patients (3,8 %) étaient célibataires. La majorité était envoyée par le psychiatre (31,8 %). Trente neuf cas (29,5 %) étaient envoyés par le médecin généraliste et 22 patients (16,7 %) par le neurologue. Douze patients (9,1 %) étaient amenés par leur famille. Trente quatre patients (25,8 %) présentaient des antécédents familiaux de trouble mnésique (tableau I). Les anti hypertenseurs étaient les plus prescrits (tableau III), suivis des anti dépresseurs dans 37 cas (28%), et des neuroleptiques dans 18 cas (13,6%). Les anticholinestérasiques étaient prescrits dans 12 cas (9,1 %). Nous avons retrouvé 57 cas de démence (43,2 %) avec une prédominance de démence de type Alzheimer (64,7 %). Le MCI était présent dans 10 cas (14,4 %), et la dépression dans 7 cas (5,3 %). DISCUSSION Age Ces résultats confirment les nombreuses théories selon lesquelles l’âge est le principal facteur de démence [21]. En effet, en Europe [21], au Nigeria [14], comme dans beaucoup d’autres études la démence était significativement associée à l’âge de la personne. Sexe Statut matrimonial Réseau social et mode de vie Nous avons retrouvé dans notre série 25 patients (18,9%) qui appartiennent à une association religieuse et 9 soit 6,8% à une association communautaire. Peter [24] a trouvé une association inverse entre pratiques religieuses et survenue de troubles cognitifs. Il soutient que le désengagement social est un facteur de risque de troubles cognitifs de la population âgée. Or, la non appartenance religieuse est l’une des 6 composantes du désengagement social. Dans la même lancée, Idler et Kasl [18] ont montré que l’appartenance à une association religieuse était associée à de faibles degrés d’incapacité fonctionnelle dans la population âgée. Baiyewu [3] a trouvé que les personnes âgées en Afrique vivent avec une famille élargie faite de plusieurs générations. 6 ,7 % vivent seules, ce qui contraste avec celles vivant seules en Europe entre 35-39 % [2]. Malheureusement, ce réseau social a tendance à s’appauvrir avec les mutations survenues dans le mode de vie marqué par une urbanisation progressive induisant de plus en plus un isolement des individus. Néanmoins, il ne faut pas aussi perdre de vue que ces affections sont sous diagnostiquées. Itinéraire thérapeutique Au Ghana, la démence a constitué le deuxième motif de consultation à la clinique psychiatrique d’Accra [29]. En Hollande, 58 % étaient envoyés par le généraliste et seuls 12 % par le psychiatre [17]. Cette différence entre notre série et celles d’études réalisées dans des pays du Nord pourrait s’expliquer par une meilleure connaissance des troubles cognitifs par les médecins généralistes de ces pays. Cette bonne connaissance fait que le dépistage et la référence vers le service compétent se font plus tôt. En effet, une politique de vulgarisation des troubles cognitifs et la formation des médecins pour un diagnostic et une prise en charge précoce a été entreprise très tôt dans ces pays notamment au Canada par le Canadian Consensus Conference on the Assessment of Dementia CCCA en direction des praticiens généralistes [8,23]. La grande proportion de patients adressée par le psychiatre dans notre étude s’explique par l’expression psychiatrique fréquente des troubles cognitifs avec hallucinations, délire, déshinibition, irritabilité. Devant de tels tableaux, le premier réflexe des familles est d’amener les patients vers les structures où sont pris en charge les troubles du comportement, à savoir les services de psychiatrie. Antécédents Ces chiffres confirment les théories génétiques de la démence. En effet des facteurs génétiques sont reconnus comme déterminants dans la démence, mais un seul fait l’objet de consensus: la présence de l’allèle E4 du gène codant pour l’apolipoproteine E [7]. Nous avons trouvé 44 patients (33,3%) qui avaient des antécédents de troubles dépressifs. La dépression est très souvent associée à la démence dont elle constitue un diagnostic différentiel aussi. Plusieurs études ont attesté cette association fréquente [7, 13, 19, 22]. Jorm AF confirme l’association démence dépression avec un risque relatif de 1,16 à 13,5 [19]. Quatre vingt six patients (65,2%) avaient des antécédents d’HTA. L’HTA est associée à un risque accru de survenue de maladie d’Alzheimer [17]. Démences Touré au Canada [28] a trouvé des taux voisins de démence dans une clinique de mémoire. Des études à Lagos [4] ont trouvé des taux voisins avec 48 % de démence. Au Mali, Traoré a retrouvé une prévalence de 39,7 % sur une population de 65 ans et plus [32]. A Dakar, Touré trouve une prévalence de 10,7 % sur une population de 872 personnes âgées de plus de 55 ans [31]. La prévalence plus faible de Touré se justifie par le mode de recrutement qui n’était pas basé sur des plaintes cognitives, qui s’intégrait plus dans le cadre de consultations générales de personnes de plus de 55ans. Ces chiffres montrent l’existence de la démence en Afrique. Même si les taux retrouvés en Afrique sont inférieurs à ceux retrouvés dans les pays occidentaux [15], la prévalence de la démence d’Alzheimer est à peu près la même dans cette tranche de la population. En effet, on retrouve autour de 66% de démence d’Alzheimer dans la plupart des sociétés [2]. Nos résultats sont conformes à ceux de la littérature avec 64 % de démence type Alzheimer. En Angleterre des études montrent 44 % d’Alzheimer [6]. Touré au Canada [30] a trouvé une prédominance d’Alzheimer avec 46 %. De tels résultats appellent des implications dans des sociétés comme les nôtres où les politiques de santé ne sont pas orientées vers les populations âgées. Dépression Les dépressions passent très souvent inaperçues, la plupart des symptômes dépressifs étant considérés comme relevant de la démence. Ce qui en fait une mauvaise estimation. Or, une prise en charge adéquate des troubles dépressifs chez ces personnes âgées pourrait constituer un facteur préventif. Chez des personnes âgées fragiles, un état dépressif peut suffire à entraîner des troubles du comportement et de la mémoire similaires à ceux d’un syndrome démentiel, mais curables. La règle doit donc être de traiter tout syndrome dépressif du sujet âgé, même en cas de détérioration intellectuelle associée. MCI A Indianapolis, Unverzagt a retrouvé sur une population de 87 patients qui présentaient un MCI, que 16,1% ont développé une démence [33] après un suivi de 2 ans. Les taux encore faibles dans notre étude reflètent le retard de consultation et par ailleurs la méconnaissance de tels troubles d’où leur sous diagnostic. Le vieillissement normal n’est pas synonyme de détérioration. Les plaintes mnésiques bénignes sont, dans la majorité des cas, liées à des facteurs psychoaffectifs (deuils, éloignement des proches, solitude). Il faut savoir prendre en charge les plaintes de changement des capacités. Au moindre doute, un bilan dans un centre spécialisé de la mémoire peut lever l’inquiétude ou permettre un traitement précoce dans les pays où de telles structures existent. Traitement Un soutien psychologique ainsi qu’une sensibilisation des familles ont été effectués dans tous les cas. Ces traitements sont encore uniquement symptomatiques et dans une certaine mesure préventive [12,21]. Dans les pays développés, les anticholinestérasiques seuls traitements réellement stabilisateurs sont plus largement prescrits. Touré a trouvé que 39 % de patients sous anti cholinestérasiques en 2000 [30] au Canada. Dans notre étude 12 patients (9,1 %) ont eu des anticholinestérasiques prescrits par le neurologue . Cette faible prescription s’explique par le fait de leur indisponibilité sur le marché et leurs prix élevés par ailleurs. En effet seuls les plus nantis parmi les patients recrutés ont pu commander les anticholinéstérasiques depuis l’Europe. Une politique de santé visant une meilleure accessibilité des médicaments serait d’un grand apport. CONCLUSION La démence correspond à une détérioration intellectuelle globale d’évolution progressive avec un retentissement important sur la vie quotidienne. Dans l’attente des avancées pharmacologiques sur la prise en charge, l’accessibilité financière des nouvelles molécules comme les anticholinestérasiques, le rôle du médecin en Afrique doit s’articuler autour de la prévention et de l’accompagnement de la famille. Cela implique une prise en charge adéquate des troubles dépressifs du sujet âgé, un diagnostic précoce des stades initiaux de la maladie et de larges informations éducatives sur l’intérêt des activités occupationnelles, physiques et intellectuelles, des réseaux sociaux et du mode de vie. Tableau I : Antécédents des patients consultant pour troubles mnésiques.
Tableau II : Activités physiques de 132 patients consultant pour troubles mnésiques au Sénégal.
Tableau III : Traitement habituel de 132 patients consultant pour troubles mnésiques au Sénégal
Références
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