CLINICAL STUDIES / ETUDES CLINIQUES
CONNAISSANCES, ATTITUDES ET PRATIQUES D’UNE POPULATION SEMI-URBAINE SUR L’EPILEPSIE : CAS DE DJOUGOU AU BENIN EN 2019.
KNOWLEDGE, ATTITUDES AND PRACTICES OF A SEMI-URBAN POPULATION ON EPILEPSY: CASE OF DJOUGOU IN BENIN IN 2019.
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RESUME Contexte : L’épilepsie reste dans certaines populations africaines une maladie chargée de mythes et d’interprétations socio-culturelles discriminatoires. Objectif : Evaluer en milieu semi-urbain (Djougou) au Bénin en 2019, le niveau de connaissance, attitude et pratique de la population sur l’épilepsie. Méthodes : Etude transversale descriptive analytique avec collecte des données du 28 août au 29 septembre 2019 dans une interview face-à-face, qui a inclus des sujets ayant 15 ans et plus, résidant à Djougou depuis au moins 6 mois, ayant donné leur consentement libre et éclairé. L’échantillonnage était probabiliste avec un sondage en grappes à deux degrés. Le niveau de connaissance et attitude-pratique a été défini par deux scores respectifs avec deux niveaux d’appréciation (mauvais ou bon). Les facteurs associés étaient déterminés au moyen d’une régression logistique. Résultats : 180 sujets étaient interviewés dont 111 hommes (sex-ratio 1,6). L’âge médian était de 26 ans [16-85 ans]. Le niveau de connaissance était bon chez 6,11% ; IC95% [3,09% – 10,67%]. 43,33% avaient une bonne attitude et pratique en matière d’épilepsie, IC95% [35,98% – 50,91]. Les facteurs associés à la bonne connaissance étaient l’âge (p=0,03), la profession (p=0,009), la religion (p=0,01), la source d’information (p=0,000). La bonne attitude et pratique était associée au sexe (RP = 1,42 ; IC95% 1,0 – 2,04), au niveau socio-économique (p=0,01), à la bonne connaissance de l’épilepsie (p=0,02). Conclusion : A Djougou, la population avait un mauvais niveau de connaissance et attitude-pratique sur l’épilepsie. Des campagnes d’éducation et de sensibilisation ciblées sont indispensables pour sortir l’épilepsie de l’ombre. Mots-clés : attitude, Bénin, connaissance, épilepsie, pratique. ABSTRACT Background: Epilepsy remains in certain African populations a disease with myths and discriminatory socio-cultural interpretations. Aim: To assess the level of knowledge, attitude and practice of the population about epilepsy in a semi-urban setting (Djougou) in Benin in 2019. Methods: Descriptive analytical cross-sectional study with data collection from August 28 to September 29, 2019 in a face-to-face interview, which included subjects aged 15 years and older, residing in Djougou for at least 6 months, who gave their free and informed consent. The sampling was probability based with a two-stage cluster survey. The level of knowledge and attitude-practice was defined by two respective scores with two levels of appreciation (bad or good). Associated factors were determined after logistic regression. Results: 180 subjects were interviewed, of whom 111 were men (sex ratio 1.6). The median age was 26 years [16-85 years]. The level of knowledge was good in 6.11%; CI95% [3.09% – 10.67%]. 43.33% had good attitude and practice about epilepsy, CI95% [35.98% – 50.91]. Factors associated with good knowledge were age (p=0.03), occupation (p=0.009), religion (p=0.01), source of information (p=0.000). Good attitude and practice was associated with sex (RP = 1.42; IC95% 1.0 – 2.04), socioeconomic level (p=0.01), good knowledge of epilepsy (p=0.02). Conclusion: In Djougou, the population had a poor level of knowledge and attitude-practice about epilepsy. Targeted education and awareness campaigns are essential to bring epilepsy out of the shadows. Keywords: attitude, Benin, epilepsy, knowledge, practice. INTRODUCTION Au Bénin, pays ouest-africain, plusieurs études ont été menées sur divers aspects de l’épilepsie dont la prévalence, les causes et les aspects socio-culturels. Ces études montrent une prévalence globale de l’épilepsie de 8,05‰ (IC95% 6,59—9,74‰) avec une répartition régionale assez disparate et variable (20). Les régions rurales ont une plus forte prévalence. La région de la Donga (département du Nord-Ouest abritant les villes comme Ouaké, Djougou) présente la deuxième plus haute prévalence régionale de 12,10‰ (20). Malgré les nombreuses politiques de sensibilisation et d’éducation, cette maladie demeure dans certaines régions du pays encore chargée de mythes et d’interprétations socio-culturelles discriminatoires comme dans d’autres pays (4,7). Ceci est probablement en rapport avec la grande multiplicité ethnique au Bénin, la grande diversité dans l’interprétation socio-culturelle de l’épilepsie au sein de la même ethnie et les campagnes de sensibilisation non ciblées à chaque aire socio-culturelle. Les connaissances des populations sur l’épilepsie influencent largement leurs attitudes et pratiques vis-à-vis des malades (9,12). Afin de sortir l’épilepsie de l’ombre et d’impacter réellement son pronostic sous nos cieux, une amélioration du niveau de cette connaissance est indispensable en tenant compte des différents groupes socio-ethniques et culturelles. Notre étude avait pour but d’évaluer les connaissances, attitudes et pratiques sur l’épilepsie dans une population à forte prévalence, notamment la région de Djougou. METHODES Cadre d’étude : Cette étude s’est déroulée dans la région de Djougou, région semi-urbaine au Nord-Est du Bénin (département de la Donga) avec une population de 267 812 habitants en 2013 selon le 4e recensement général de la population et de l’habitat (RGPH). Cette région fortement islamique présente à elle-seule six groupes socio-linguistiques majoritaires (Yom, Lokpa, Dendi, Peuhls, Ditamari, Bariba) et les autres groupes dont les Fon, Adja, Yoruba (8). Type, période et population d’étude : Il s’est agi d’une étude transversale descriptive et analytique avec collecte prospective des données, allant du 27 août au 28 septembre 2019. Critères d’inclusion : Etaient inclus dans l’étude les sujets âgés de 15 ans et plus, résidant depuis au moins six mois à Djougou, ayant donné leur consentement verbal éclairé. Critères d’exclusion : Etaient exclus, les sujets en crise épileptique, les handicapés sensoriels (sourds, muets), les sujets grabataires. Taille et technique d’échantillonnage : L’échantillonnage était probabiliste avec un sondage en grappes à deux degrés. La taille de l’échantillon a été calculée à 177 participants à partir de la formule de Schwartz en choisissant p comme la prévalence de l’épilepsie à Nikki en 2011 à 8,4% (1). Le premier degré du sondage a permis de sélectionner de façon aléatoire les villages et quartiers de la ville de Djougou à partir des données administratives sur la population en 2019 et le principe de la sélection en grappes de l’OMS. Le deuxième degré du sondage a consisté en un tirage aléatoire de la direction de la collecte des données en se positionnant au centre des villages ou quartiers. Ainsi les enquêteurs se mettaient au centre puis choisissaient au hasard la direction à prendre (en faisant tourner sur lui-même un stylo dont la pointe indiquait la direction par laquelle démarrer). Les sujets rencontrés dans cette direction étaient interviewés face-à-face à concurrence des unités statistiques prévues. Variables : La variable dépendante était le niveau de connaissance et le niveau d’attitude-pratique. Elle a été définie par deux scores différents à savoir le score connaissance compris entre 0 – 12 et le score attitude-pratique compris entre 0 – 11. Le niveau de connaissance était considéré comme faible pour un score entre 0 et 6 ; bon pour un score ≥7. Le niveau d’attitude-pratique était également considéré comme faible pour un score entre 0 et 6 ; puis bon pour un score ≥7. Sur la base d’un critère d’égalité de poids entre les questions, une valeur d’un point était attribuée à chacune des questions lorsque la réponse donnée était juste, et une valeur de 0 point à chacune des questions dont la réponse donnée était fausse. La saisie et l’analyse des données ont été faites grâce aux logiciels Epi Data 3.1 et Epi info version 7.2. Les variables quantitatives étaient exprimées en moyenne avec leur écart-type et les variables qualitatives en effectif et pourcentage. Les comparaisons étaient faites avec le test chi-2 de Pearson (ou le test exact de Fisher selon le cas). L’identification des facteurs associés au bon niveau de connaissance ou d’attitude-pratique était faite en utilisant le test c2 non corrigé. Un p inférieur à 5% était statistiquement significatif. L’anonymat des participants a été observé, les données ont été traitées de manière confidentielle. Les autorisations des responsables municipaux de Djougou ont été obtenues avant l’étude. RESULTATS Caractéristiques de la population Au total, 180 sujets ont été enquêtés. Cent-onze (61,67%) étaient de sexe masculin soit un sex-ratio de 1,6. L’âge médian était de 26 ans [16 – 85ans] avec un intervalle interquartile allant de 21 ans à 33 ans. Le groupe ethnique Yom prédominait (41,11%). La religion musulmane était pratiquée par 72,78%. La majorité des sujets enquêtés (157 soit 87,22%) avait affirmé connaître l’épilepsie. Parmi eux, 76% étaient informés grâce à leur entourage et 8% grâce aux médias. Niveau de connaissances, attitudes et pratiques sur l’épilepsie A Djougou, très peu d’enquêtés parmi ceux qui prétendaient connaître la maladie avait une bonne connaissance de l’épilepsie soit 6,11% IC95% [3,09% – 10,67%]. De même, la population affichait un faible niveau de bonne attitude et pratique 43,33% ; IC95% [35,98% – 50,91]. La plupart des sujets décrivait l’épilepsie comme une maladie dans laquelle le malade présente des secousses et mouvements incontrôlés des 4 membres avec perte de connaissance (92,99%), émission de salive abondante (84,08%), amnésie après la crise (38,22%), émission d’urine pendant la crise (22,93%). Facteurs associés aux bons niveaux de connaissances, attitudes et pratiques Les facteurs associés à la bonne connaissance de l’épilepsie étaient l’âge (p=0,03), la profession (p=0,009), la religion (p=0,01) et la source d’information sur l’épilepsie (p=0,000). La bonne attitude et pratique face à l’épilepsie était associée au sexe (RP = 1,42 ; IC95% 1,0 – 2,04), au niveau socio-économique (p=0,01) et à la bonne connaissance de l’épilepsie (p=0,02). Le tableau n°1 présente les caractéristiques des enquêtés ayant au moins une fois entendu parler de l’épilepsie et les facteurs associés au bon niveau de connaissance, attitude et pratique à Djougou au Bénin en 2019. DISCUSSION Globalement, le niveau de connaissance de l’épilepsie dans cette région semi-urbaine du Bénin est mauvais. Ceci est en lien avec les préjugés culturels populaires malgré une forte prévalence de l’épilepsie dans la région (20). La majorité d’entre eux (87,22%) déclaraient connaître l’épilepsie comme dans l’étude de Njamnshi et al. (9), mais seulement 6,11% en ont une bonne connaissance. Cette fréquence est similaire à celle rapportée par Maiga au Mali en 2012 (85%) mais supérieure à celle rapportée par Nubukpo et al. au Bénin et Cuong et al. au Vietnam en 2003 (54%) (5,9,17). A contrario, dans l’étude de Ndoye et al. au Sénégal et celle de Abdullah Alsohibani et al. en Arabie Saoudite, les connaissances sur l’épilepsie étaient bonnes en raison du progrès dans l’éducation de la population (3,14). Dans certains groupes socio-professionnels notamment en milieu urbain, le niveau de connaissance est meilleur, comme en témoignent plusieurs études. Agbétou et al. au Bénin en 2021 rapportaient un meilleur niveau de connaissance, 40,2% chez les enseignants en milieu urbain, alors que Maiga et al. rapportaient 91,3% en milieu urbain chez les enseignants au Mali (2,11). A contrario, les tradipraticiens avaient une moins bonne connaissance de l’épilepsie (10). Dans l’étude de Adoukonou et al. en 2011 à Nikki, une autre région du Nord-Bénin (à l’est de Djougou), 55,5% des sujets enquêtés considérait l’épilepsie comme une maladie contagieuse et 77,7% l’attribuait à des causes surnaturelles ou à une sorcellerie ou un envoûtement (1). Tout ceci dénote d’un manque de sources d’informations fiables à l’endroit de ces populations, devant les amener progressivement à changer leurs conceptions. Les facteurs influençant cette connaissance étaient l’âge, la profession, la religion et la source d’information. D’autres études menées notamment en France, au Bénin, au Togo, en Malaisie corroborent ces mêmes facteurs et retrouvent d’autres facteurs comme le sexe (15,17). La connaissance est intimement dépendante des données culturelles, individuelles, sociales et anthropologiques (4). Elle est d’abord acquise à travers l’éducation familiale et celle de la tribu d’appartenance puis transmise à travers les générations, de proche en proche. Ce mode de transmission des connaissances perpétue les idées reçues des ainés avec leurs erreurs. L’âge avancé et la profession pourront modifier les notions apprises par le biais de l’accès à d’autres civilisations, à l’instruction et l’acquisition d’autres connaissances scientifiques. Cependant, il n’est pas rare de rencontrer des enseignants ou des individus avec un niveau d’instruction élevé mais dont les connaissances sont axées sur les idées originellement reçues (2,11,13,19). La religion quant à elle pourrait conférer une interprétation surnaturelle à l’épilepsie de par ses manifestations paroxystiques et spectaculaires, notamment dans les crises motrices généralisées et les altérations réversibles de la conscience avec amnésie ; donnant l’impression que le malade est en lutte avec un esprit surnaturel. L’ethnie n’a pas été retrouvée comme dans l’étude de Adoukonou et al. (1). Au sein d’une même ethnie les conceptions sont parfois différentes et dans la même région on note une multiplicité ethnique tout comme c’est le cas dans notre étude. Des ethnies différentes peuvent aussi avoir des conceptions identiques sur certains aspects de l’épilepsie et différentes sur d’autres (15). Quant aux attitudes et pratiques, elles sont mauvaises en général et largement influencées par les connaissances sur la maladie (16,18), de même que le sexe et le niveau socio-économique. Le niveau socio-économique associé au bon niveau d’attitude et pratique s’expliquerait par une meilleure accessibilité des couches ayant les ressources financières à l’information via l’internet, les technologies de l’information et de la communication (TIC). L’absence d’association entre les antécédents familiaux d’épilepsie et le bon niveau d’attitude et pratique confirme le manque de sensibilisation des personnes souffrant d’épilepsie (PSE) et de leurs familles sur l’épilepsie. L’ethnie, la religion et le niveau d’instruction n’étaient pas associés. Neni et al. en Malaisie rapportent qu’aussi bien le niveau socio-économique, la race, le sexe, la religion, la profession et les antécédents familiaux sont associés au niveau de connaissance, attitude et pratique sur l’épilepsie (15). Les mêmes constats sont rapportés par Demirci et al. en Turquie (6). Ceci rend bien compte des spécificités liées à chaque type de population et de leurs variabilités inter puis intra-groupes socio-démographiques obligeant à mener des actions ciblées contre les facteurs qui péjorent le pronostic de l’épilepsie au Bénin. Une sensibilisation est indispensable mais ne saurait à elle seule suffire. La proximité d’un neurologue, la guérison de malades épileptiques, l’amélioration du pronostic des personnes souffrant d’épilepsie et leur meilleur insertion socio-éducative et professionnelle seraient de preuves tangibles suffisants pour un changement de mentalité. Les mass-médias, les nouvelles TIC et les témoignages ont également un rôle majeur à y jouer. Forces et faiblesses Cette étude apporte des données factuelles à partir desquelles des actions concrètes peuvent être entreprises afin d’améliorer l’état de connaissance des populations de Djougou. Elle a pour avantage d’être menée à partir d’un sondage en grappes dans le souci de limiter les biais de sélection et d’assurer la représentativité de l’échantillon. Néanmoins, la technique de collecte utilisée notamment l’entrevue face-face aurait pu introduire un biais de déclaration de la part des enquêtés vu l’inexistence de moyen de contrôle de l’exactitude de leurs déclarations. Un biais de désirabilité sociale pourrait aussi être aussi introduit au cours de l’entrevue, conduisant ainsi à une surestimation de la connaissance, et de l’attitude et pratique. Cependant, au moment de la collecte des données, un climat de confiance entre l’enquêté et l’enquêteur a permis de minimiser ce biais. CONCLUSION Les connaissances, attitudes et pratiques sur l’épilepsie sont globalement mauvaises dans la population de Djougou. Une grande diversité des facteurs influençant ce fait est constatée. Des actions ciblées sur chaque type de population sont nécessaires pour sortir l’épilepsie de l’ombre. CONFLIT D’INTERET Aucun
Tableau n°1 : Facteurs associés au bon niveau de connaissance, attitude-pratique sur l’épilepsie à Djougou, Bénin, 2019. (N=157 sujets ayant entendu parler au moins une fois de l’épilepsie)
REFERENCES
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