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CASE REPORT / CAS CLINIQUE
 
DECOMPRESSION CHIRURGICALE DU NERF MEDIAN AU CANAL CARPIEN SOUS ANESTHESIE LOCALE ET SANS GARROT.

SURGICAL DECOMPRESSION OF THE MEDIAN NERVE AT THE CARPAL TUNNEL UNDER LOCAL ANESTHESIA AND WITHOUT TOURNIQUET.


  1. Service de Neurochirurgie CHU de Bouaké, 01 BP 1174 BOUAKE 01 Bouaké 01

E-Mail Contact - DEROU Louis : keableon1@yahoo.fr


RESUME :

La décompression chirurgicale du nerf médian au canal carpien est l’une des interventions chirurgicales les plus fréquentes dans la chirurgie de la main. Cette décompression nerveuse est le plus souvent réalisée sous anesthésie locale non adrénalinée et avec un garrotLe but de notre travail était de présenter deux cas de décompression chirurgicale du nerf médian au canal carpien sans garrot avec infiltration de lidocaïne adrénalinée et de procéder à une revue de la littérature. Il ressort de cette revue que la décompression du nerf médian au canal carpien sans garrot avec infiltration de lidocaïne adrénalinée peut être réalisée en toute sécurité.

Mots clés : Adrénaline, anesthésie, chirurgie de la main.


ABSTRACT:

Surgical decompression of the median nerve at the carpal tunnel is one of the most common surgical procedures in hand surgery. This nerve decompression is most often performed under non-adrenalized local anesthesia and with a tourniquet. The purpose of our work was to present two cases of surgical decompression of the median nerve at the carpal tunnel without tourniquet with adrenalized lidocaine infiltration and to review the literature. It appears from this review that decompression of the median nerve at the carpal tunnel without tourniquet with adrenaline lidocaine infiltration can be safely performed.

Key words: Epinephrine, hand surgery, local anesthesia.

INTRODUCTION

La décompression chirurgicale du nerf médian au canal carpien est l’une des interventions chirurgicales les plus fréquentes dans la chirurgie de la main (7). Cette décompression nerveuse est le plus souvent réalisée sous anesthésie locale sans adrénaline et avec un garrot (20).

Bien que suscitant un scepticisme de la plupart des chirurgiens en raison du risque potentiel d’ischémie de la main, le nombre de cas de décompression chirurgicale du nerf médian au canal carpien avec utilisation de lidocaïne adrénalinée et sans garrot est en croissance (15). Cette technique d’anesthésie dénommée « Wide Awake Local Anaesthesia No Tourniquet (W.A.L.A.N.T) » est développée depuis les années 1980 sous l’impulsion du Dr Lalonde, médecin canadien spécialisé dans la chirurgie de la main (11).

Le but de notre travail était de présenter deux cas de décompression chirurgicale du nerf médian au canal carpien avec application de la WALANT et de procéder ensuite à une revue non systématique de la littérature relative à ce sujet.

OBSERVATIONS

Observation Clinique 1

Une patiente de 40 ans, sans antécédents particuliers était suivie depuis cinq ans pour un syndrome du canal carpien bilatéral plus marqué à droite. Au décours d’un traitement médical qui s’est avéré inefficace sur la symptomatologie douloureuse, un électroneuromyogramme a été réalisé. Celui-ci a mis en évidence une compression bilatérale plus marquée à droite des nerfs médian au canal carpien avec une atteinte démyélinisante et un retentissement axonal franc. Une décompression du nerf médian droit au canal carpien a donc été indiquée.

La patiente a été installée en décubitus dorsal, le bras droit en abduction à environ 90 degrés par rapport à l’axe du corps et reposant sur une table opératoire. Une asepsie de tout le membre supérieur droit ainsi que le repérage du site opératoire ont ensuite été réalisés. Nous n’avons pas posé de garrot. Une incision d’environ 5 cm de longueur allant du pli distal du poignet et suivant l’axe du bord ulnaire du majeur a été planifiée. La limite distale de l’incision a été définie par l’intersection entre la ligne de KAPLAN (tangente au bord médial du pouce) et celle se projetant dans l’axe du bord ulnaire du majeur. Une injection de 20 ml de lidocaïne adrénalinée à la concentration de 1/100 000 a été ensuite réalisée le long de l’incision planifiée. Après l’incision cutanée et la dissection du plan sous cutanée, des écarteurs auto statiques ont été mis en place. La coagulation bipolaire a été utilisée pour faire face au saignement minime du plan sous cutané. L’aponévrose palmaire a ensuite été incisée dans le sens de l’incision cutanée. Après incision de l’aponévrose palmaire et le repositionnement de l’écarteur autostatique, le retinaculum des fléchisseurs a été identifié et sectionné permettant une décompression du nerf médian (Photo 1). Après toilettage du site opératoire au sérum physiologique nous avons procédé à la ferméture cutanée (Photo 2).

Les suites opératoires immédiates ont été simples. La patiente a ensuite été revue en consultation à un mois, trois mois puis six mois après l’intervention avec un amendement total des signes cliniques.

Observation clinique 2

Une patiente de 62 ans se plaignait depuis plusieurs mois de paresthésies à la main gauche apparaissant à toute flexion du poignet gauche ainsi que des douleurs du poignet invalidantes à exacerbation nocturne.

L’électroneuromyogramme avait mis en évidence un syndrome du canal carpien à gauche notamment dans une forme sensitivo-motrice modérée. Une décompression du nerf médian au canal carpien a donc été indiquée. L’installation et la technique chirurgicale ainsi que l’évolution étaient similaires à la première observation clinique.

DISCUSSION

L’éducation médicale traditionnelle contre-indique l’utilisation de l’adrénaline dans les blocages anesthésiques des extrémités des membres. Ce concept continue d’être enseigné dans les écoles de médecine et dans les manuels traditionnels de chirurgie (1). La décompression chirurgicale du nerf médian au canal carpien avec application de la WALANT est donc vue par la plupart des chirurgiens comme un risque potentiel d’ischémie de la main et des doigts (1).

Cependant des études scientifiques cliniques et fondamentales ont montré que l’adrénaline peut être injectée en toute sécurité dans le doigt et la main (10) et que la WALANT produit des résultats cliniques satisfaisants (8).

Concernant la non-utilisation du garrot

La non-utilisation du garrot permet d’éviter les traumatismes d’ordre mécanique (liés au garrot) temporaires ou définitifs de la peau ou des troncs nerveux (17). Le risque d’avoir un saignement peropératoire important sans garrot quant à lui est contrebalancé par l’utilisation des écarteurs auto statiques. En effet, l’essentiel du saignement au cours de la chirurgie de la décompression du nerf médian au canal carpien provient des berges de l’incision cutanée et du plan sous cutané (16). Ce saignement est limité par l’utilisation des écarteurs autostatiques qui réalisent une hémostase par compression (16).

La non-utilisation du garrot permet aussi de réduire la sensation douloureuse par le patient au cours de l’intervention. Iqbal a à cet effet dans une étude prospective et randomisée observé une EVA moyenne à 2,5 comparée à une EVA à 5 en cas d’utilisation du garrot (6). En outre, la prise d’une voie veineuse ou même la réalisation d’une sédation peuvent s’avérer non nécessaire en cas de non utilisation du garrot (16) ; ce qui permet de réduire le coût de l’intervention.

Sur le plan de l’évolution, la non-utilisation du garrot n’augmente pas le risque de survenue de complications post-opératoires. Cela a été mis en évidence dans une revue systématique avec méta-analyse (4).

Concernant l’utilisation de l’adrénaline

L’association de la lidocaïne à l’adrénaline comme anesthésique local est largement pratiquée dans la chirurgie de la main et des doigts (10). Aucun cas d’ischémie de la main en rapport avec l’utilisation de lidocaïne adrénalinée n’a d’ailleurs encore été rapporté (3,19) ; même avec une injection accidentelle d’une solution hyper concentrée de lidocaïne adrénalinée (2). Fitzcharles-Bowe dans une revue systématique n’a relevé aucun cas de nécrose ischémique des doigts après des injections accidentelles de solutions adrénalinées supérieures à la dose habituelle. Aucun cas de nécrose digitale ou cutanée n’a également été relevé dans une étude multicentrique comportant 3110 patients ayant reçu une injection de lidocaïne adrénalinée (9). Les seuls cas de nécroses ischémiques des doigts rapportés dans la chirurgie de la main étaient dus à l’utilisation de la procaïne qui était l’anesthésique local le plus répandu avant 1950 (2,19).

Pour l’infiltration préopératoire certains auteurs ajoutent à la solution de lidocaïne adrénalinée 2 ml de bicarbonate de sodium (16). Cette dernière (que nous n’avons pas utilisé pour nos deux cas) par son effet de tamponnement permet de réduire la sensation douloureuse liée à l’acidité de la lidocaïne au cours de l’infiltration préopératoire (12). L’utilisation d’une aguille fine (gauge 27) pour cette infiltration est moins traumatique et permet une injection plus lente et moins douloureuse de l’anesthésique local (12). L’association de l’adrénaline à la lidocaïne prolonge l’effet analgésique de cette dernière qui peut s’étendre de 6 h à 12 h de temps après l’intervention (5). Le saignement qui est habituellement observé sans garrot avec utilisation de la lidocaïne simple est également réduit du fait de l’effet vasoconstricteur de l’adrénaline (2). Le délai requis pour obtenir cet effet vasoconstricteur de façon optimale est estimé à 25 minutes après l’injection (13). De plus l’association de l’adrénaline à la lidocaïne permet de réduire d’environ 36% la durée de l’intervention. SRAJ a à cet effet dans une étude rétrospective révélé un temps moyen d’intervention de 12,8 minutes avec utilisation de lidocaïne adrénalinée contre 17,4 minutes avec la lidocaïne simple (16).

Répercussions de la WALANT au plan économique

Sur le plan économique, la décompression du nerf médian au canal carpien sous anesthésie locale et sans garrot permet de prendre en charge un nombre plus élevé de patients. Le coût moindre et la non nécessité d’une sédation contrairement à l’utilisation du garrot rend sa réalisation plus facile surtout dans les pays en voie de développement (14). Le coût lié à la chirurgie de la main est difficilement supportable par la plupart des patients dans ces pays en voie de développement (14). L’intervention peut se réaliser de façon ambulatoire réduisant ainsi la durée et le coût de l’hospitalisation (18).

CONCLUSION

Au regard de ce qui précède, nous pouvons affirmer que plusieurs études ont montré l’efficacité de la WALANT qui peut être réalisée en toute sécurité.

Pour notre part, nous recommandons cette technique de décompression du nerf médian au canal carpien car elle présente un taux élevé de satisfaction des patients.

Conflits d’intérêts:

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts.

Contribution des auteurs:

Tous les auteurs ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

PHOTOS

 

Photo (1) : Exposition du nerf médian après section du retinaculum des fléchisseurs

 

Photo (2) : Ferméture cutanée


REFERENCES

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