ORIGINAL PAPERS / ARTICLES ORIGINAUX
DEFICITS COGNITIFS CHEZ LES ENFANTS ET ADOLESCENTS ATTEINTS DE DREPANOCYTOSE (GENOTYPE SS) A BRAZZAVILLE
COGNITIVE DEFICITS IN CHILDREN AND ADOLESCENTS WITH SICKLE CELL DISEASE (GENOTYPE SS) IN BRAZZAVILLE
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RESUME Introduction : La drépanocytose impacte négativement le neurodéveloppement de l’enfant. Objectifs : Déterminer la fréquence des déficits cognitifs chez les enfants et adolescents drépanocytaires homozygotes à Brazzaville ; identifier les facteurs associés. Méthodes : Il s’est agi d’une étude transversale analytique. Elle a porté sur les enfants drépanocytaires homozygotes âgés de 6 à 16 ans. Elle a été réalisée au Centre National de Référence de la Drépanocytose de Brazzaville, de mars à septembre 2019. Les domaines neurocognitifs ont été évalués par l’échelle d’intelligence de Wechsler pour enfants, 5e édition. Les variables d’étude ont été sociodémographiques et cliniques. Résultats : Sur 130 enfants drépanocytaires homozygotes reçus en consultation de routine dans le cadre de leur suivi, 83 (63,84%) présentaient des déficits cognitifs. Parmi eux, 43 (51,80 %) étaient des garçons et 40 (48,20%), des filles. L’âge moyen était de 10,93 ± 2,83 ans. Les patients présentaient des déficits de langage, des habilités visuo-spatiales et des fonctions attentionnelles et exécutives. Les accidents vasculaires cérébraux, l’anémie sévère et l’âge avaient un impact sur ces déficits cognitifs. La mémoire de travail n’était pas altérée. L’intelligence générale était conservée. Conclusion : Dans notre milieu, les déficits cognitifs sont fréquents chez les enfants et adolescents drépanocytaires homozygotes. Les facteurs associés à l’altération des fonctions neurocognitives sont similaires à ceux rapportés dans la littérature. De ce fait, il est important d’inclure une évaluation neurocognitive systématique dans le suivi de ces enfants et de les accompagner par des méthodes pédagogiques adaptées ou des programmes de réhabilitation cognitive. Mots-clés : Drépanocytose ; Enfants ; Adolescents ; Échelle d’intelligence de Wechsler ; Déficits cognitifs; Brazzaville. ABSTRACT Introduction: Sickle cell disease has an negative impact on neurodevelopment in child. Objectives: To determine the frequency of cognitive deficits in children and adolescents with sickle cell disease (genotype SS) in Brazzaville; to identify the associated factors. Methods: An analytical prospective study was conducted at the National Center of Reference of Sickle Cell Disease in Brazzaville, from March to September 2019. It included 6-16-year-old children with homozygous sickle cell disease (genotype SS). Neurocognitive domains were evaluated by means of the Wechsler Intelligence Scale for Children, Fifth Version. Analyzed parameters were sociodemographic and clinical. Results: Among the 130 children with homozygous sickle cell disease presenting for a routine clinic visit for follow-up, 83 (63.84%) had cognitive deficits. Of these, there are 43 (51.80 %) boys and 40 (48.20%) girls. Mean age was 10.93 ± 2.83 years. Deficits of language, visuo-spatial functions, attention and executive functions were detected in patients. Strokes, severe anemia and age had an impact on these cognitive deficits. Working memory was not impaired. General intelligence was preserved. Conclusion: In our setting, cognitive deficits are very frequent in children and adolescents with homozygous sickle cell disease. The factors associated with neurocognitive impairment in our patients get closer to those reported in literature. It is important to include a systematic neurocognitive assessment in the follow-up of these children and to support them with adapted teaching methods or cognitive rehabilitation programs. Keywords: Sickle cell disease; Children; Adolescents; Wechsler Intelligence Scale for Children, Fifth Version; Cognitive deficits; Brazzaville. INTRODUCTION La drépanocytose est une maladie héréditaire, chronique, causée par une mutation du gène qui code pour la chaîne β de l’hémoglobine (27). La drépanocytose est une hémoglobinopathie très répandue dans le monde, particulièrement en Afrique (19,27). Au Congo, la prévalence de la drépanocytose homozygote (génotype SS) est estimée à 1,1% et celle de la drépanocytose hétérozygote (génotype AS) à 19,2% (8,20). La drépanocytose dans sa forme SS a un impact sur le neurodéveloppement de l’enfant. Les troubles du neurodéveloppement causés par la drépanocytose se caractérisent entre autres par des déficits cognitifs (13,25). Ces derniers, de sévérité variable, sont principalement associés à la sévérité de l’anémie et aux complications vasculaires (4,23-25). Lesdites complications sont également responsables d’une létalité élevée, de l’ordre de 50 % avant les cinq premières années de vie en Afrique (13). Malgré l’importance de cette hémoglobinopathie en Afrique Subsaharienne, les travaux portant sur les déficits cognitifs chez les enfants drépanocytaires homozygotes sont rares (21). De ce fait, nous avons entrepris la présente étude dans le but de renforcer les mesures de la prise en charge de la drépanocytose. Les objectifs de cette étude étaient de déterminer la fréquence des déficits cognitifs chez les enfants et adolescents drépanocytaires (génotype SS) et d’identifier les facteurs associés. METHODES Il s’est agi d’une étude transversale analytique, réalisée au Centre National de Référence de la Drépanocytose de Brazzaville. Elle a porté sur une période de 7 mois, allant de mars à septembre 2019. Elle a intéressé les enfants et adolescents drépanocytaires (génotype SS) reçus en consultation de routine dans le cadre de leur suivi. L’étude a été réalisée selon les principes d’Helsinki applicables à la recherche médicale sur les êtres humains et a été approuvée par le Comité d’éthique : 048/MRSIT/IRSSA/CERSSA du 22 février 2019. Les critères d’inclusion ont été: l’âge (6 à 16 ans) ; l’absence de troubles sensoriels, psychologiques et psychiatriques; les patients en période inter critique. Les critères d’exclusion ont été : l’absence d’un bilan complémentaire complet ; les patients n’ayant pas réalisé le test psychométrique jusqu’à son terme; les patients ne pouvant pas s’exprimer en langue française (langue utilisée dans l’enseignement au Congo); les patients absents après deux entrevues de rattrapage. Les patients ont été recensés de façon exhaustive. Ils ont été soumis à un test psychométrique et aux examens biologiques, neurophysiologiques et radiologiques. L’échelle d’intelligence de Wechsler pour enfants, 5ème édition (WISC-V) a été utilisée comme test psychométrique pour évaluer les fonctions attentionnelles et exécutives, la mémoire de travail, le langage, les habilités visuo-spatiales et l’intelligence générale (2,36). La WISC-V a été entièrement adaptée au contexte culturel et éducatif congolais. Les indicateurs retenus pour évaluer les domaines neurocognitifs ont été :
Chaque indice principal était constitué de subtests. Le nombre de subtests était de 15. Chaque subtest comportait des items. La composition des indices principaux en subtests étaient pour:
La détermination des notes moyennes des subtests, indices principaux et QIT a été faite selon la méthodologie décrite dans le manuel d’administration et de cotation de la WISC-V (36). La note moyenne de chaque subtest a été établie à cinq (5). Pour l’indice principal et le QIT, la note moyenne (M) et l’écart-type (ET) ont été de 100 et 10, respectivement. Le déclin d’un domaine neurocognitif a été déclaré pour une note inférieure à 80 (M-2ET). Les examens biologiques réalisés étaient : l’électrophorèse de l’hémoglobine (Hb) sur acétate de cellulose en milieu alcalin pour la confirmation du génotype SS et la numération formule sanguine pour évaluer la sévérité de l’anémie. L’électroencéphalogramme (EEG) avait permis de rechercher des grapho-éléments de nature épileptique. La tomodensitométrie (TDM) cérébrale nous a permis de rechercher des lésions d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) et le doppler transcranien, des anomalies de flux, évocatrices d’ischémies silencieuses, en l’absence d’imagerie par résonnance magnétique (IRM) cérébrale ; examen de choix. Les variables d’étude ont été constituées par l’âge, le sexe, les cycles d’études primaire et secondaire, les crises vaso-occlusives, la crise de déglobulisation, les AVC, le syndrome thoracique aigu et le type de déficit cognitif. Nous avons réparti nos patients selon 2 tranches d’âge : 6–10 ans et 11–16 ans. Elles correspondent aux différents âges qui, selon le système d’éducation congolais, sont compris dans le cycle d’études primaire (6-10 ans) et dans le cycle d’étude secondaire (11-16 ans). Toutes les informations recueillies ont été saisies et analysées grâce au logiciel SPSS (Statistical Package for Social Sciences) version 21. L’analyse statistique a consisté en la détermination des fréquences et moyennes des variables qualitatives et quantitatives. Le test de Khi-2 a été utilisé pour établir le lien entre deux variables quantitatives. La comparaison de deux groupes a été faite par la corrélation de Pearson. Le seuil de significativité a été fixé à p < 0,05. RESULTATS Données épidémiologiques Sur 238 enfants et adolescents drépanocytaires homozygotes ayant accepté de participer à l’étude, 130 (54,62%) répondaient aux critères d’inclusion. Des 130 patients, 83 présentaient des déficits cognitifs, soit une fréquence de 63,84 ± 6% (IC 95 % = 55,60 – 72,11%). Parmi les 83 patients avec déficits cognitifs, 43 (51,80 %) étaient des garçons et 40 (48,20%) des filles. L’âge moyen des patients était de 10,93 ± 2,83 ans. Les patients de la tranche d’âge de 6–10 ans représentaient 47% (n = 39) versus 53% (n = 44) pour ceux de la tranche d’âge de 11–16 ans. Le cycle d’études primaire comptait 53 patients (63,86%). L’effectif des patients du cycle d’études secondaire était de 30 (36,14%). Données cliniques et paracliniques Les 83 patients avec déficits cognitifs ne présentaient aucune anomalie électrique à l’EEG ou du flux sanguin artériel cérébral à l’echodoppler transcranien. A la numération formule sanguine, l’anémie était sévère (taux d’hémoglobine < 6 g/dL) dans 44,58% des cas (n = 37) et modérée dans 55,42% des cas (n = 46). Des images séquellaires d’infarctus artériel cérébral (IAC) avaient été mises en évidence par la tomodensitométrie cérébrale chez 4 (4,8%) patients. Le territoire superficiel, vascularisé par l’artère cérébrale moyenne, était touché chez ces derniers Un patient pouvait présenter plusieurs manifestations cliniques. Celles-ci étaient constituées par : la crise de déglobulisation (n = 64; 77,11%) qui est une anémie sévère; les crises vaso-occlusives (n = 75; 90,36%) et les AVC (n = 4; 4,82%). Les scores des ICV, IVS et IRF étaient plus faibles, comparativement à ceux des IVT et IMT. Le score de l’IMT était dans la norme (Tableau I). Chez les patients avec score d’ICV faible, et donc avec déficits de la fonction langagière, le subtest similitudes était le moins bien réussi après les subtests informations et vocabulaire. Les patients avaient un vocabulaire peu développé et des difficultés d’expression orale. La compréhension était moyennement conservée. Les patients ayant le score d’IVS faible, et donc présentant des déficits des habilités visuo-spatiales, manifestaient des difficultés de compréhension et de perception à partir des images et animations bidimensionnelles. Au niveau de l’IRF, les subtests matrices et arithmétique étaient les moins réussis. Les patients présentaient une lenteur dans les réponses et une méconnaissance des relations entre « le tout » et « ses parties », mais aussi avec les processus simultanés, particulièrement en cas de présentation orale. Globalement, les déficits de langage et des habilités visuo-spatiales étaient plus prononcés que ceux des fonctions attentionnelles et exécutives. Les patients ne présentaient pas de déficits de mémoire (Tableau I). La note moyenne du QIT des 83 patients était dans la norme (89,53 ± 13,48 avec des extrêmes de 48 et 109). La proportion des patients avec score du QIT inférieur à la norme était faible (24,10%) (Tableau II). Facteurs associés Le taux des patients avec score du QIT inférieur à la norme était plus élevé chez les enfants de 11 à 16 ans (Tableau II). Des scores moyens relativement plus bas du langage, des habilités visuo-spatiales et des fonctions attentionnelles et exécutives étaient notés chez les patients de la tranche d’âge de 6 – 10 ans (Tableau III) et chez ceux avec anémie sévère et antécédent d’AVC (Tableau IV). Les crises vaso-occlusives n’avaient pas d’effet sur les fonctions neurocognitives du fait des scores moyens quasi préservés (Tableaux III et IV). DISCUSSION Aspects épidémiologiques La fréquence des déficits cognitifs de la présente étude est supérieure à celles déterminées dans d’autres travaux, variant de 10 à 40% (13-16). La différence observée pourrait résulter de plusieurs facteurs : les tests psychométriques utilisés pour évaluer les domaines neurocognitifs ; la nature et le type de populations d’étude ; l’effectif des patients drépanocytaires homozygotes. Dans notre série, aucune différence significative n’est notée entre l’effectif des garçons et celui des filles. Cette caractéristique épidémiologique s’observe également dans d’autres séries (12,22,26). L’âge moyen de nos patients, qui correspond à la période de préadolescence, est similaire à celui rapporté dans d’autres études (17,18,22). La présente étude révèle un déclin du langage, des habilités visuo-spatiales et des fonctions attentionnelles et exécutives. Les caractéristiques présentées par nos patients avec déficits langagiers sont également rapportées dans d’autres études (18,25,28). Le déclin des habilités visuo-spatiales, observé chez nos patients, est aussi noté dans d’autres travaux (7). La littérature rapporte que les patients drépanocytaires ayant eu un antécédent d’AVC présentent une diminution prononcée des fonctions attentionnelles et exécutives. De plus, la sévérité de cet état est fonction du degré de l’atteinte cérébrale, du site lésionnel et des anomalies des artères cérébrales (4,25,29). Dans notre étude, le déclin des fonctions attentionnelles et exécutives est moins prononcé. La différence observée entre nos résultats et ceux des autres chercheurs pourrait s’expliquer par : notre taux très élevé de patients sans antécédent d’AVC (95,18%); l’implication des facteurs autres que l’AVC car l’étiologie des déficits cognitifs est multifactorielle (3,5,10,22,24,25,30,32). Des études portant sur la mémoire de travail révèlent que des taux élevés de patients avec déficits de mémoire sont notés parmi les patients avec antécédent d’AVC de localisation frontale (4,6). Dans notre série, aucune atteinte cérébrale frontale n’est observée parmi les 4 patients avec antécédent d’AVC. La prépondérance de patients sans antécédent d’AVC dans notre étude pourrait vraisemblablement expliquer l’absence de déclin de la mémoire. L’étude réalisée au Nigéria révèle également l’absence de déficit de la mémoire (22). L’absence de baisse de l’intelligence générale, constatée dans notre série, pourrait s’expliquer par le faible taux des patients avec antécédent d’AVC (4,82%). En effet, des études ont montré que :
Facteurs associés La littérature rapporte que plusieurs facteurs ont un impact sur les domaines neurocognitifs. Parmi ces facteurs, figurent entre autres le niveau d’études ou d’instruction des parents et les facteurs biologiques, cliniques, environnementaux, nutritionnels, psychosociaux, sociodémographiques et socioéconomiques (3,5,10,16,22,24,30). L’impact de l’âge, d’une part sur la baisse de l’intelligence générale observée chez les patients avec score du QIT inférieur à la norme (Tableau II), et d’autre part sur le déclin du langage, des habilités visuo-spatiales et des fonctions attentionnelles et exécutives (Tableau III), notée dans notre série, est aussi rapportée dans d’autres travaux (12, 22,23,26,31,32,34). Des études indiquent un impact des AVC et de l’anémie sévère sur le langage, les habilités visuo-spatiales et les fonctions attentionnelles et exécutives (1,4,5,7,12,14,15, 21,23,26,28,29). Cette caractéristique est également s’observée dans notre série. Forces et limites de l’étude Le point fort de la présente étude est l’utilisation de l’échelle WISC-V pour évaluer le QIT, le langage, les fonctions attentionnelles et exécutives, les habilités visuo-spatiales et la mémoire de travail. Cette échelle, qui a été adaptée au contexte culturel et éducatif congolais, nous a permis d’obtenir, au plan de la méthodologie, une interview homogène, répétitive et compréhensive, et n’influençant pas les réponses du participant à l’enquête. La limite de cette étude vient de ce que l’imagerie par résonnance magnétique n’a pas été réalisée chez les patients en raison de son coût élevé. En conséquence, les infarctus silencieux n’ont pas été dépistés chez les patients. CONCLUSION L’ensemble de ces résultats indique que, dans notre milieu, la fréquence des déficits cognitifs est très élevée chez les enfants et adolescents drépanocytaires homozygotes. Toutefois, le déclin des fonctions cognitives est plus faible, comparativement à la littérature ; ce probablement en raison de la faible fréquence de l’AVC. De ce fait, il est important de renforcer les mesures diagnostiques en y incluant une évaluation précoce des domaines neurocognitifs chez les enfants drépanocytaires homozygotes. Cette évaluation a pour but d’accompagner les patients drépanocytaires avec déficits cognitifs par des méthodes pédagogiques adaptées. DECLARATION D’INTERET Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt en rapport avec cet article
Tableau I : Répartition des scores des indices principaux selon le domaine neurocognitif
Tableau II : Répartition du quotient intellectuel total selon la tranche d’âge et les cycles d’études primaire et secondaire
Tableau III : Répartition des scores des indices principaux selon la tranche d’âge et les cycles d’études primaire et secondaire
Tableau IV : Répartition des scores des indices principaux selon la variable clinique
REFERENCES
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