CLINICAL STUDIES / ETUDES CLINIQUES
DEPISTAGE DE LA NEGLIGENCE SPATIALE UNILATERALE GAUCHE DANS UNE POPULATION DE CEREBROLESES DROITS VASCULAIRES EN COTE D’IVOIRE. ETUDE PRELIMINAIRE
ASSESSMENT OF LEFT UNILATERAL SPATIAL NEGLECT IN VASCULAR RIGHT BRAIN DAMAGED PATIENTS IN COTE D'IVOIRE. A PRELIMINARY STUDY
E-Mail Contact - DATIE Ange-Michel :
ange_datie@yahoo.fr
RESUME Description Objectif Méthodologie Résultats Conclusion Keyword: Africa, Right hemisphere, Stroke, Unilateral spatial neglect ABSTRACT Background Objective Methods Results Conclusion Mots clés : Accident vasculaire cérébral, Négligence spatiale unilatérale INTRODUCTION La négligence spatiale unilatérale (NSU) est une des manifestations cliniques observables au décours d’une lésion cérébrale. La diversité des terminologies qui lui sont consacrées suggère quelquefois les différentes hypothèses avancées pour l’expliquer [6, 11, 15, 26, 28]. La définition qu’en donne Heilman [19] est actuellement largement admise : << un patient atteint du syndrome de négligence a des difficultés à signaler, à répondre ou à s'orienter vers des stimuli nouveaux ou porteurs de signification lorsque ceux-ci sont présentés du côté opposé à une lésion cérébrale, sans que ce trouble ne soit explicable par un déficit sensoriel ou moteur>>. Il s’agit d’un trouble neuropsychologique qui peut perturber gravement le comportement du patient et retentir sur son niveau d’autonomie. En effet, la persistance d’une NSU est considérée comme un facteur péjoratif de la récupération fonctionnelle en termes d’incapacité et de handicap [6, 11, 22]. L’anosognosie qui est fréquemment associée à l’hémiplégie gauche pourrait être l’un des facteurs déterminants de ce pronostic fonctionnel [6, 11]. Toutefois, la négligence ne peut être totalement corrélée à la présence de l’anosognosie au vu de travaux cités ou rapportés dans la littérature [12, 27]. Différentes stratégies thérapeutiques spécifiques ont été développées pour favoriser la régression de la NSU [2, 11]. Les conséquences de la négligence sur le pronostic fonctionnel à long terme et la nécessité d’une prise en charge particulière ne sont cependant pas admises par tous les auteurs [24]. Bien que pouvant apparaître à la suite de lésions de nature diverse, la négligence a été surtout étudiée dans les suites d’accidents vasculaires cérébraux. Par ailleurs, son caractère plus marqué dans les lésions cérébrales droites a fait des hémiplégiques gauches, la population de prédilection pour son étude. Sa fréquence de survenue à la suite d’une lésion cérébrale droite est diversement appréciée dans la littérature. Si Gainotti [15] l’estime à 30 à 50 % des cas, des intervalles beaucoup plus larges ont été rapportés [28]. La relative fréquence de la NSU et ses possibles répercussions fonctionnelles justifient l’intérêt que lui ont porté les nombreux travaux réalisés à son sujet depuis plusieurs années dans les pays développés. La monographie réalisée par Viader et de la Sayette [26] constitue un outil didactique et un riche répertoire bibliographique consacré à ce sujet. En Afrique noire, nos recherches bibliographiques se sont avérées infructueuses sur ce sujet. A priori, ce constat ne traduirait pas une quelconque rareté de ce trouble dans notre aire géographique, mais plutôt un manque d’intérêt et l’absence de recherche systématique du trouble chez les hémiplégiques vasculaires. L’absence ou l’insuffisance de prise en compte de ce trouble pourrait ainsi altérer la qualité de la prise en charge de l’hémiplégique vasculaire et retentir négativement sur son évolution fonctionnelle. Il importe donc que la négligence spatiale unilatérale soit plus étudiée dans le cadre de la pathologie vasculaire cérébrale en Afrique noire, afin d’obtenir une modification des comportements de l’équipe soignante vis à vis du patient hémiplégique. MATERIEL ET METHODES POPULATION TEMOINS Des adultes apparemment sains, tous droitiers, sachant lire et écrire, ayant une moyenne d’âge proche de celle des patients, a servi de population de référence. Il s’agissait de vérifier le comportement de ces sujets sains vis-à-vis des tests visuo-graphiques retenus et des cut-off définis dans la littérature pour chacun de ces tests. PATIENTS Les patients ont été recrutés au sein des services de neurologie et de rééducation fonctionnelle du CHU d’Abidjan sur la base des critères suivants : avoir une hémiplégie gauche secondaire à un accident vasculaire cérébral hémisphérique droit confirmé par la tomodensitométrie et n’excédant pas trois mois d’évolution, savoir lire et écrire, être droitier. L’analphabétisme, les antécédents d’AVC, la présence de troubles de la vigilance ou de la compréhension et la présence de paralysies oculomotrices constituaient les critères d’exclusion. De même, ont été exclus les patients présentant un AVC du tronc cérébral. TESTS D’EVALUATION DE LA NSU Pour dépister la NSU, nous avons eu recours à une batterie de quatre tests visuo-graphiques d’utilisation courante et de passation relativement facile. Il s’agit du test de barrage de lignes selon Albert, le test de repérage d’étoiles selon Halligan, le test de repérage des cloches selon Gauthier et la copie de la scène de Gainotti (figures 1, 2, 3, 4). La description détaillée de ces tests a été faite dans la littérature [1, 4, 9, 14, 16, 17]. Les cut-off définis dans la littérature pour chacun des trois tests de barrage sont, respectivement, de deux lignes, trois étoiles et six cloches. Pour les trois premières épreuves, le principe est de barrer des stimuli associés ou non à des distracteurs et répartis sur une feuille de format A4 horizontal. La dernière épreuve consiste à reproduire sous le modèle, différentes figures alignées horizontalement. L’omission de cibles supérieure au cut-off retenu pour ces épreuves de barrage et dont la localisation spatiale est latéralisée vers l’espace controlatéral à la lésion cérébrale permet d’affirmer la NSU. A l’épreuve de la copie de la scène, la NSU peut s’exprimer sous forme de l’omission complète ou partielle d’un ou de plusieurs éléments de la scène avec un caractère de latéralisation spatiale controlésionnelle. Dans le cadre de cette étude, ont été considérés comme négligents tous les patients présentant des signes de négligence sur au moins l’une des quatre épreuves sus-décrites. PROCEDURE Après explication et obtention du consentement des patients, les épreuves ont été réalisées en une seule séance en suivant le même ordre de passation (barrage de lignes, repérage d’étoiles, repérage de cloches, copie de la scène). Des temps de pause étaient accordés entre deux épreuves selon la fatigabilité du patient et à sa demande. Les patients étaient assis avec ou sans aide, soit dans leur lit, les jambes pendantes, soit dans une chaise. Le test était placé sur un plan de travail en face du patient en veillant à ce que la feuille soit alignée sur l’axe sagittal médian du patient et qu’elle ne puisse être déplacée. Les mouvements de la tête et des yeux étaient libres. Les épreuves ont été réalisées sans contrainte de temps, en utilisant le membre supérieur droit et un stylo à bille. La standardisation des conditions de passation, telle que définie par Benaïm et al. [9] a été respectée. VARIABLES ANALYSEES Le nombre de cibles omises et leur répartition spatiale, de même que la localisation tomodensitométrique des lésions cérébrales ont été les principales variables analysées. RESULTATS TEMOINS La population de référence était constituée de trente cinq adultes sains, dont dix femmes et vingt-cinq hommes, ayant une moyenne d’âge de 51 ans (32 à 68 ans). Les témoins ont réalisé toutes les épreuves sans difficulté particulière, répondant aux critères de normalité définis pour chaque test. Malgré le caractère parfois asymétrique de certains dessins, il n’a été observé ni omission ni apraxie constructive à la copie de la scène de Gainotti. PATIENTS Trente patients hémiplégiques gauches, d’origine africaine dont 5 femmes et 25 hommes ayant une moyenne d’âge de 49.6 ans (28 à 66 ans), ont été retenus dans le cadre de cette étude. Les données démographiques et cliniques de ces patients sont résumées dans le tableau I. Sur la base des critères retenus, 18 patients sur 30, soit 60 % des patients, présentaient un comportement de négligence spatiale unilatérale gauche sur au moins l’un des quatre tests. Différents comportements de négligence ont été observés à la copie de la scène de Gainotti. Dans 10 cas sur 15, les anomalies portaient sur la partie gauche d’un ou de plusieurs éléments de la scène quelle que soit leur localisation (négligence centrée sur l’objet). Dans quatre cas, il s’agissait de l’amputation plus ou moins grande d’une portion gauche de l’ensemble de la scène incluant un ou plusieurs éléments (négligence centrée sur l’ensemble de la scène). Dans un autre cas enfin, ces anomalies étaient associées. Quelques aspects de négligence à ce test sont illustrés par les figures 4a, 4b et 4c. Sur le plan anatomique, les lésions cérébrales étaient de siège sous-cortical profond, intéressant la région des noyaux gris centraux, chez 68.7 % de l’ensemble des patients. Pour les lésions corticales, le très faible effectif de chaque sous-groupe (antérieur, antéro-postérieur, postérieur), ne permettait pas de faire de comparaison entre le groupe des patients négligents et celui des patients non négligents. De ce fait, aucune corrélation anatomo-clinique (siège de la lésion et constatation d’une négligence) n’a pu être établie. DISCUSSION Initialement, la population de patients incluait également des patients analphabètes. Mais les difficultés de réalisation des différentes épreuves visuo-graphiques par ces patients nous ont conduit à les exclure de l’étude. Cette restriction a eu pour conséquences de limiter l’effectif de la population d’étude, et d’apparaître comme un risque de biais dans l’estimation de la prévalence de la négligence. Pour éviter une trop grande dispersion de l’ancienneté des lésions cérébrales, nous avons limité le délai post-AVC à trois mois bien que les manifestations de négligence puissent se voir également à des périodes tardives [26]. La fréquence de la négligence spatiale serait maximale au cours des trois premiers mois post lésionnels [6, 29]. Par ailleurs, le choix des tests a reposé essentiellement sur des critères de simplicité et de diversification. Ce choix a été arbitraire, dans la mesure où aucune batterie de tests visuo-graphiques ne fait l’unanimité au point d’être utilisée de façon universelle. Il est indéniable que des comportements de négligence constatés au cours de ces tests puissent être en dissociation avec les performances obtenues en situation de vie réelle. Mais il nous importait plus dans cette étude préliminaire de mettre en évidence un trouble neuropsychologique plutôt que d’apprécier ses conséquences dans la vie quotidienne. Ces remarques faites, il ressort de cette étude que des manifestations de négligence ont pu être mises en évidence par ces différents tests visuo-graphiques. La prévalence du trouble est de 60 % au sein de la population étudiée. Au vu de ces résultats nous pouvons dire que le phénomène de négligence spatiale unilatérale occupe une place importante dans le tableau clinique des accidents cérébro-vasculaires droits au cours des trois premiers mois d’évolution, puisque plus d’un patient sur deux en est atteint. Ce taux de prévalence se situe dans le large intervalle que rapporte la littérature [26]. Hecaen en France [20] retrouvait un taux de 31 %. En Italie, Bisiach et al [20], Vallar et al [20] et Zoccolotti et al [29] rapportaient respectivement des taux de 26.7 %, 33 % et 52 %. Bailey et al en Grande Bretagne [5] font état de 39.2 %, quand Pedersen et al au Danemark [24] retrouvaient une proportion de 42 %. Quant à Stone et al [25], ils rapportaient un taux de 72 % au troisième jour de l’accident vasculaire cérébral. Si ces différentes études ont porté effectivement sur des AVC droits, les tests de dépistage utilisés n’étaient pas uniformes, et parmi les travaux cités, seule l’étude de Stone se situait dans les suites immédiates de la lésion. Ces variations méthodologiques limitent la comparaison des données d’une étude à l’autre. Bien qu’ayant permis de révéler des comportements de négligence, ces tests visuo-graphiques se sont avérés de sensibilité différente, confirmant les constatations faites par des études antérieures [4, 5, 9, 10, 11, 26]. Il convient toutefois d’être prudent dans la comparaison de ces tests compte tenu de leur variabilité qualitative. En effet, la négligence est un phénomène hétérogène où chaque test n’évalue pas forcément les mêmes aspects du trouble. Ces tests ne sollicitent certainement pas les mêmes ressources attentionnelles et les mêmes opérations cognitives. Leur sensibilité peut ainsi varier selon leur degré de complexité, le nombre de cibles, le nombre de distracteurs, la mise en compétition de l’information déjà traitée ou à traiter et la nature de la tâche à accomplir. Le test de Gainotti qui requiert un comportement graphique plus exigeant (reproduire une image étant à priori plus difficile que de barrer ou d’entourer une cible) et qui comporte des informations plus complexes confirme sa bonne sensibilité. La diversité des comportements de négligence observée à la copie de la scène de Gainotti et les doubles dissociations retrouvées aux tests de barrage des étoiles et des cloches, chez des patients présentant des lésions de siège identique, sont une autre illustration de la complexité du syndrome. Plusieurs études confirment cette variabilité interindividuelle lors de la réalisation des tests [4, 6, 10, 13, 21]. L’hétérogénéité du syndrome de négligence spatiale s’exprime également à travers la diversité des comportements visuo-exploratoires constatée chez les patients négligents [7]. Bien que d’usage relativement simple, les tests visuo-graphiques se sont montrés, dans notre pratique, difficilement réalisables par les patients analphabètes. Ces difficultés limitent ainsi la portée de ces tests comme outils de dépistage dans notre contexte, où le taux d’analphabétisme est estimé à 53 % de la population générale. Cette situation accorde tout leur intérêt aux épreuves comportementales d’évaluation de la négligence (ou tests écologiques) dont certaines sont déjà disponibles [3, 28]. Mais ces dernières, comme la plupart des tests neuropsychologiques proposés, doivent nécessairement faire l’objet d’une étude de validation qu’imposent nos particularités socioculturelles, avant d’être utilisées à grande échelle. Sur le plan anatomique, la prédominance des lésions sous-corticales profondes observée dans notre étude va à l’encontre des descriptions classiques qui mettent un accent particulier sur les lésions corticales rétro-rolandiques [11, 20]. Mais le profil anatomique de notre population reste compatible avec les données de la littérature qui souligne la diversité des sites lésionnels en cause, y compris les lésions sous-corticales [11, 18, 20]. Il nous faut souligner le fait que chez certains patients, les images disponibles découlaient de la sélection des planches faites par le radiologue et le volume des lésions n’était déterminé systématiquement que pour les hématomes intracérébraux et quelques infarctus bien circonscrits. Certains auteurs ont souligné le rôle du volume lésionnel dans l’occurrence et le degré de gravité des troubles neurologiques, et également dans le pronostic de récupération fonctionnelle. C’est ainsi que Beelosesky et al. qui se sont intéressés à l’influence de la taille des infarctus cérébraux sur le devenir fonctionnel des patients [8], constatèrent une corrélation entre la taille des infarctus corticaux, la sévérité des troubles neurologiques et la qualité de la récupération fonctionnelle. Par contre, cette corrélation n’était pas observée avec les infarctus sous-corticaux profonds, rarement responsables de désordres neuropsychologiques y compris la négligence et l’anosognosie. Wiart et al. ont, quant à eux, observé une fréquence plus élevée de lésions cortico-sous-corticales et antérieures, et un volume lésionnel significativement plus important chez les négligents par rapport aux non négligents [27]. Des types différents de comportement de négligence ont même été décrits en fonction des localisations pré ou rétro-rolandiques des lésions cérébrales [10, 23 ].Quoiqu’il en soit, la multiplicité et l’étendue des lésions vasculaires cérébrales en cause rendent difficile l’étude des corrélations anatomo-cliniques concernant le syndrome de négligence [11, 20]. CONCLUSION A travers cette étude préliminaire portant sur une population de patients cérébro-lésés droits, il apparaît que la NSU est un trouble fréquemment observé dans les trois premiers mois d’un accident vasculaire cérébral. Cette prévalence nous semble importante pour justifier la recherche systématique de ce trouble neuropsychologique dans le cadre de l’examen neurologique ou du bilan de rééducation. Toutefois cette estimation doit être nécessairement réajustée en y incluant les patients analphabètes. Des tests qui leur soient accessibles et qui permettent en même temps d’apprécier les conséquences de la négligence dans la vie quotidienne devraient être identifiés et utilisés. Des travaux ultérieurs tenant compte de toutes ces constatations devraient nous permettre d’approfondir l’étude de ce syndrome dans notre milieu. Tableau I : Données démographiques et cliniques des patients
Légende : I = Ischémique ; H = Hémorragique ; F = Frontal ; P = Pariétal ; T =Temporal ; Tableau II : Performances des patients héminégligents aux différents tests
Légende : + = négligence ; 0 = pas de négligence (selon les critères définis pour chaque test). REFERENCES
|