CLINICAL STUDIES / ETUDES CLINIQUES
ÉPIDÉMIOLOGIE DES ACCIDENTS VASCULAIRES CÉRÉBRAUX DE L ’ENFANT AU SÉNÉGAL
EPIDEMIOLOGY OF CHILDHOOD STROKE IN SENEGAL
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RESUME Introduction : Les publications sur les accidents vasculaires cérébraux de l’enfant (AVC) sont relativement rares en Afrique alors que les principaux facteurs étiologiques rapportés par la littérature sont présents sur le continent. L’objectif de cette étude était de déterminer les facteurs de risque, les aspects cliniques et paracliniques des accidents vasculaires cérébraux de l’enfant à Dakar (Sénégal). Méthodes : Il s’est agi d’une étude multicentrique, rétrospective dans les services de pédiatrie des centres hospitalo-universitaires de Dakar (Fann, Diamniadio et Albert Royer) entre Janvier 2005 et Janvier 2020 des enfants âgés de 2 mois à 18 ans. Résultats : Nous avons colligé 240 cas d’accident vasculaire cérébral dont 201 cas d’ischémie et 39 cas d’hémorragie. La moyenne d’âge était de 60 mois. Les manifestations cliniques étaient dominées par L’hémiplégie (33,33%) et les signes d’hypertension intracrânienne (20,51%) pour les AVCH. Dans les AVCI, elles étaient dominées par l’hémiplégie (79,60%) et les crises convulsives 18,05%. L’artère cérébrale moyenne était la plus touchée (63,68%) dans les infarctus. Les atteintes hémorragiques sus tentorielles représentaient 94,8% et 5,12% pour les atteintes sous tentorielles. Les étiologies principales étaient la drépanocytose et les cardiopathies pour les AVCI et malformations vasculaires pour les AVCH. Conclusion : Les AVC de l’enfant demeurent fréquents chez les enfants avec des facteurs de risque modifiables. La fréquence de la drépanocytose et des malformations vasculaires témoignent la nécessité d’une collaboration multidisciplinaire pour une meilleure prise en charge des enfants. Mots clés :Accident vasculaire cérébral ; accident vasculaire hémorragique enfants; Sénégal. ABSTRACT Introduction: Publications on childhood strokes are relatively rare in Africa while the main etiological factors reported in the literature are present on the continent. This study aimed at defining the risk factors, clinical and paraclinical aspects of stroke in children in Dakar (Senegal). Methods: It was a restrospective multicenter study in the pediatric departments of Dakar university hospitals (Fann, Diamniadio and Albert Royer) between January 2005 and January 2020 of children aged 2 months to 18 years. Results: We collected 240 cases of stroke including 201 cases of ischemia and 39 cases of hemorrhage. The mean age was 60 months. Clinical manifestations were predominantly hemiplegia (33.33%) and signs of raised intracranial pressure (20.51%) for hemorrhagic strokes. In ischemic stroke, hemiplegia (79.60%) and seizures (18.05%) were predominant. The middle cerebral artery was the most affected (63.68%) in ischemic strokes. Supratentorial hemorrhagic attacks represented 94.8% and infratentorial attacks 5.12%. The main factors were sickle cell disease and heart diseases for ischemic strokes; vascular malformations for hemorrhagic strokes. Conclusion: Child stroke remains common in children with modifiable risk factors. The frequency of sickle cell disease and vascular malformations testify the need for multidisciplinary collaboration for better care of children. Keywords: Hemorrhagic stroke; Ischemic stroke; Children; Senegal INTRODUCTION L’accident vasculaire cérébral (AVC) est moins fréquent chez les enfants comparés aux adultes (12). Plusieurs travaux ont été faits dans les pays en voie de développement (8,11) cependant les publications en Afrique demeurent rares (22,21,20,19,26). Au Sénégal quelques études sur les AVC (20,19,26) de l’enfant ont été menées. L’objectif de notre travail était de déterminer l’épidémiologie, les aspects cliniques, paracliniques et les facteurs de risque des accidents vasculaires cérébraux de l’enfant à Dakar (Sénégal). PATIENTS ET METHODE Nous avons mené une étude multicentrique, rétrospective et descriptive dans les services de pédiatrie de l’Hôpital d’enfants Albert Royer et de Diamniadio et au Service de Neurologie du Centre hospitalier national universitaire Fann. Elle portait sur les dossiers des enfants hospitalisés pour accident vasculaire cérébral entre Janvier 2005 et Janvier 2020. Ont été inclus tous les dossiers des enfants âgés de 2 mois à 18 ans chez qui le diagnostic clinico-radiologique d’accident vasculaire cérébral a été retenu. Les dossiers avec des informations incomplètes ont été exclus. Les variables étudiées étaient :
Tous les patients étaient suivis par la même équipe médicale faite de neuropédiatres, pédiatres et radiologues. L’analyse des données recueillies a été réalisée avec le logiciel Excel 2016. Des analyses univariées ont été effectuées pour le calcul des fréquences et des moyennes. RESULTATS Deux cent quarante (240) dossiers d’accident vasculaire cérébral ont été colligés sur une période de 15 ans, 201 cas d’infarctus cérébral (83,75%) et 39 cas d’hémorragie cérébrale (16,25%). Ils étaient 140 garçons (58,33%) et 100 filles (41,66%) soit un sex-ratio de 1,4. Cette prédominance masculine était retrouvée dans les infarctus cérébraux (58,21%) et les hémorragies cérébrales (61,54%) (Figure 1). Tous les âges pédiatriques étaient représentés : nourrissons (20%), enfants (56,25%) et adolescents (23,75%). Les enfants sont majoritaires aussi bien dans le groupe des AVCI (60,2%) que dans celui des AVCH (35,9%) (Tableau 1). L’âge moyen de survenue de l’AVC était de 60 mois (extrêmes 3 mois et 204 mois), de 67 mois dans les AVCI et de 46 mois dans les AVCH. Le mode de survenue de l’AVC était brutal dans la majorité des cas (94,5%) ou rapidement progressif (5,5%). Les principales manifestations cliniques étaient l’hémiplégie (76,3%), les convulsions (20,4%) et les troubles de la conscience (5%) (Tableau 2). Trois patients avaient des signes extra-neurologiques : deux patients avaient une insuffisance cardiaque droite avec hépatomégalie et reflux hépato-jugulaire, un autre avait des œdèmes de type rénal. L’imagerie cérébrale (Scanner cérébral et/ou Imagerie par résonnance magnétique) était réalisée chez tous nos patients. Dans les infarctus cérébraux l’artère cérébrale moyenne était la plus touchée (63,7%) suivie des artères cérébrales antérieure (13,4%) et postérieure (11%) (Tableau 3). L’atteinte de l’Artère cérébrale moyenne était unilatérale chez 113 patients et bilatérale chez 15 autres enfants. L’atteinte de l’artère cérébrale antérieure était unilatérale chez 24 patients et bilatérale chez 3 autres patients. Les ischémies de l’artère cérébrale postérieure étaient unilatérales dans 18 cas et bilatérales dans 4 cas. L’ischémie intéressait plus rarement d’autres artères cérébrales avec parfois une occlusion conjointe de 2 artères (Tableau 3). L’hémorragie était sus tentorielle (94,8%), plus rarement sous tentorielle (5,2%). L’hémorragie sus tentorielle était lobaire (48,7%) ou profonde (46,2%) (Tableau 4). L’hémorragie était intra-parenchymateuse pure chez 32 enfants (82,1%) et était associée à une hémorragie sous arachnoïdienne chez 7 enfants (18%). Les malformations vasculaires (38,5%) constituaient la première étiologie des AVCH suivies de l’hypertension artérielle (2 patients âgés de 12 ans et 14 ans respectivement), des hémopathies (1 cas de thrombopénie et 1 cas de leucémie myéloïde chronique) et d’1 cas d’endocardite infectieuse (Tableau 5). Les étiologies identifiées dans les infarctus cérébraux étaient la drépanocytose SS (41,3%), les cardiopathies (11%), les méningo-encéphalites (9%) et l’anémie (7%) (Tableau 6). L’âge moyen de survenue de l’AVCI chez les drépanocytaires SS était de 5,3 ans (extrêmes 20 mois et 15 ans). Tous les patients drépanocytaires SS avaient une anémie normochrome normocytaire (89,8%) ou hypochrome microcytaire (10,2). La drépanocytose a été révélée par l’AVCI chez 54 patients (61,4%) alors que 34 patients (38,6%) étaient connus et suivis pour drépanocytose au moment de la survenue de l’AVC. Chez 22 enfants drépanocytaires SS, des ischémies multiples d’âges différents ont été notées. Les cardiopathies emboligènes (Tableau 7) étaient congénitales (10 cas) ou acquises (12 cas) et représentaient la deuxième cause d’AVCI de l’enfant. L’âge moyen de survenue de l’AVCI était de 72 mois (extrêmes de 23 mois et 168 mois). Deux patients avaient des signes d’insuffisance cardiaque droite avec un reflux hépato-jugulaire et une hépatomégalie. Dix-huit cas de méningoencéphalites ont été diagnostiqués et représentaient la troisième cause d’AVCI de l’enfant. Il s’agissait de 2 cas de tuberculose neuro-méningée dont un sur terrain de VIH1, un cas de méningite à Cryptococcus neoformans sur terrain de VIH1, un cas de pneumocoque et 14 cas de méningoencéphalite d’étiologie indéterminée dont 7 cas sur terrain de VIH1. L’anémie hypochrome microcytaire (13 cas) ou normochrome normocytaire (1 cas) était relativement fréquente. DISCUSSION : L’incidence des AVC chez l’enfant au Sénégal reste méconnue en dépit d’études antérieures (20,19,26). Dans la littérature, les hémorragies cérébrales sont rares chez l’enfant avec une incidence annuelle de 1,1 à 2,3/100000 habitants et par an comparé aux AVCI dont l’incidence annuelle est estimée entre 1,3 et 13/100000 habitants et par an (3,8). L’âge moyen dans les AVC dans notre étude était de 5 ans ce qui correspond aux données de la littérature où l’âge moyen varie entre 4 ans et 13 ans (7,18,4,16). Contrairement aux AVCI où la moyenne d’âge était de 67mois (M Ndiaye en 2018 retrouvait 71,5 mois) la moyenne d’âge est plus petite (3,83 ans) dans l’AVCH et reste inférieure aux données de la littérature où l’âge moyen des AVCH était de 5,25 ans avec des extrêmes entre 5,6 et 8,7 ans (26,15,10). La prédominance masculine est décrite par plusieurs auteurs (8,18,6) et dans notre étude la prédominance masculine variait entre 58,20% et 61,53% des cas selon le type d’AVC. La prédominance féminine est plus rare (21 ,16). Les manifestations cliniques dans les AVCH étaient dominées par l’hémiplégie (33,33%), hypertension intracrânienne 20,51%, les céphalées isolées 17,94% et les troubles de la conscience 15,38%. Nos résultats sont similaires aux données de la littérature où l’hypertension intracrânienne est rapportée entre 58 et 76% des patients et l’hémiplégie entre 16,2 et 62% des patients (8,10,17,23,24). La TDM cérébrale a permis de poser le diagnostic d’AVCH et 94,8% des lésions étaient sustentorielles ce qui était supérieur aux données de la littérature (73,4 et 92,85%) (8,13,28). Tout comme les hémorragies cérébrales, les hémiplégies (79,60%) constituent la principale manifestation clinique des infarctus cérébraux suivie des crises convulsives 18,05%, une aphasie 10,01% et des troubles de la conscience dans 2,4% des patients. Ndiaye et al en 2018 (19) avaient obtenu une nette prédominance de l’hémiplégie soit 84% suivi de l’aphasie 19% et des crises convulsives focales 10%. Les déficits neurologiques focaux sont aussi largement rapportés dans la littérature (16,1). L’ACM était la plus touchée (69,65%), suivie de l’ACA (30,34%) et l’ACP (15,92%). Ces résultats sont similaires aux données de la littérature avec une nette prédominance de l’ACM (8,20,19). La TDM cérébrale comme imagerie la plus accessible était demandée en première intention chez tous les malades et permettait de poser le plus souvent le diagnostic, l’IRM cérébrale était réalisée chez 11 patients. Dans notre contexte de sous-développement et d’inaccessibilité des explorations, nous rapportons 33,75% d’étiologie indéterminée chez les enfants victimes d’AVC dont 31,84% chez les enfants victimes d’AVCI ce qui est supérieur aux données de la littérature (9% à 22%) (12,13,23). La drépanocytose SS est la cause d’AVCI de l’enfant la plus représentée dans notre étude avec 41,29% des cas (20,19), c’est un problème de santé publique en Afrique subsaharienne (22,9) ; les données transversales en clinique ont rapporté une prévalence d’AVC de 2,9% à 16,9% chez les enfants atteints de drépanocytose (14). Notons que la drépanocytose est rarement rapportée comme étiologie d’AVCI dans les pays autres que l’Afrique avec une fréquence de moins de 11% dans les différentes études (3,9,25). Les cardiopathies emboligènes représentent moins de 7,7 à 33% des étiologies d’AVCI (20,19,16), certains auteurs rapportent une prédominance des cardiopathies congénitales (2,27) contrairement à notre étude où les cardiopathies acquises sont les plus représentées (12 cas) avec 4 cas de valvulopathies rhumatismales et 2 cas d’endocardites infectieuses. L’AVCI par artérite infectieuse représente 8,95% des causes d’AVCI dans notre étude, ce taux est inférieur à ceux des autres séries allant de 17 à 24% des cas (16,27). La recherche étiologique est le plus souvent non concluante dans notre étude du fait de l’inaccessibilité de certaines analyses biologiques ce qui explique que 7 cas d’AVCI dans un contexte infectieux ou post infectieux n’ont pu être documentés. L’infection à VIH était diagnostiquée chez 7 enfants (19), elle constitue une étiologie ou un terrain propice de survenu d’AVCI par vascularite infectieuse. L’AVCH était causé le plus souvent dans notre étude par une rupture d’anévrismes (9 cas), de malformations artério-veineuses (5 cas), ces résultats sont différents des données de la littérature où la MAV était l’étiologie la plus fréquente d’AVCH entre 42,8 et 46% des cas (15,17). Les troubles hématologiques constituent une cause non négligeable d’AVCH, Giroud en 1995 (4) avait trouvé 18% de coagulopathies. La thrombocytopénie est de loin la plus fréquente des hémopathies incriminées dans la survenue des AVCH, elle est reportée entre 30% et 45% dans les séries de Lori,2007(15) et Psaila B,2009 (23). Dans notre étude nous n’avons rapporté qu’un cas de thrombopénie. Nous notons que 43,84% des cas d’AVCH n’avaient pas d’étiologie dans notre série ce qui est similaire aux données de la littérature entre 28,5% et 42,85% (8,17). CONCLUSION : Les AVC de l’enfant demeurent fréquents avec des facteurs de risque modifiables. La fréquence de la drépanocytose et des malformations vasculaires témoigne de la nécessité d’une collaboration multidisciplinaire pour une meilleure prise en charge des enfants.
Tableau 1 : Répartition selon l’âge des enfants ayant fait un AVC
Tableau 2 : Manifestations cliniques des AVC
Tableau 3 : Topographie de l’infarctus cérébral à l’imagerie
Tableau 4 : Topographie de l’hémorragie cérébrale
Tableau 5 : Etiologies des AVCH
Tableau 6 : Facteurs étiologiques des AVCI
Tableau 7 : Cardiopathies emboligènes
REFERENCES
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