SPECIAL TOPICS / MISE AU POINT
EPILEPSIE ET GROSSESSE : REVUE DE LA LITTERATURE
EPILEPSY AND PREGNANCY : REVIEW OF THE LITERATURE
E-Mail Contact - MOUSSA Toudou Daouda :
moussatoudou@gmail.com
RÉSUMÉ La grossesse a longtemps été déconseillée chez les femmes épileptiques en raison du taux élevé des malformations fœtales. Si l’épilepsie en elle-même n’a pas d’influence sur le bon déroulement de la grossesse, les medicaments antiépileptiques sont responsables des complications fœto-maternelles. Le taux de complications fœto-maternelles semble être plus important en cas de polythérapie. Cet article est une revue récente de la littérature qui répond à des preoccupations du praticien concernant les liens entre l’épilepsie et la grossesse. Mots-clés: épilepsie, femme, grossesse, médicaments antiépileptiques, complications fœto-maternelles, allaitement. ABSTRACT Tilte – Epilepsy and pregnancy : review of the literature Pregnancy has long been discouraged in women with epilepsy due to the high rate of fetal malformations. If epilepsy itself has no influence on the smooth running of pregnancy, antiepileptic drugs are responsible of feto-maternal complications. The rate of feto-maternal complications appears to be greater with polytherapy. This article is a recent review of the literature that meets the concerns of the practitioner about the relationship between epilepsy and pregnancy. Keywords : epilepsy, women, pregnancy, anti-epileptic drugs, feto-maternal complications, breastfeeding. INTRODUCTION L’épilepsie est l’une des pathologies chroniques les plus fréquentes touchant les femmes en âge de procréer [13]. Dans le monde, le nombre des femmes épileptiques en âge de procréer est difficile à estimer mais il ne cesse de croitre. Chez ces femmes épileptiques, les grossesses sont dites à risque car elles sont associées à un risque de complications fto-maternelles (CFM) bien que dans 90 à 96% des cas la grossesse se déroule normalement [27, 39, 41]. Cependant, le risque de CFM est plus important chez les femmes épileptiques que chez celles non épileptiques [28, 32]. Ces CFM sont plus fréquentes chez les femmes épileptiques exposées aux médicaments antiépileptiques (MAE) [49]. Cet article de mise au point concerne l’influence de la grossesse sur l’épilepsie, l’influence de l’épilepsie sur la grossesse, l’influence des MAE sur la grossesse, le MAE à choisir ou éviter pendant la grossesse, l’accouchement et l’allaitement chez les femmes épileptiques sous traitements antiépileptiques,et l’effet des MAE sur les fonctions intellectuelles de l’enfant. INFLUENCE DE LA GROSSESSE SUR L’EPILEPSIE Durant la grossesse, une tendance à l’augmentation de la fréquence des crises épileptiques (CE) est observée chez environ 35% des femmes malgré une bonne observance thérapeutique [27]. Plusieurs facteurs peuvent jouer un rôle dans la recrudescence des CE. C’est le cas des modifications hormonales notamment l’hyperstrogénie, des modifications métaboliques, des troubles du sommeil, de la mauvaise observance du traitement antiépileptique (AE) par crainte de tératogénicité, des modifications des taux plasmatiques des AE secondaires aux vomissements gravidiques, des interactions médicamenteuses, de l’expansion du volume plasmatique, de l’augmentation du débit cardiaque avec augmentation du flux sanguin hépatique et rénal qui accélère l’élimination des AE [27, 42, 52]. Il est important de réduire au maximum ces facteurs pour minimiser les risques de survenue des CE pendant la grossesse. Le traitement AE doit donc être ajusté en cas d’apparition des CE. Une éviction des produits diminuant le seuil épileptogène s’avère aussi nécessaire. Ce sont les antihistaminiques H1 (exposition chronique) [15], les antidépresseurs (antidépresseurs à effet dose-dépendante : maprotiline, clomipramine ; antidépresseurs à risque élevé : phenelzine, tranylcypromine, fluoxetine, paroxetine, sertraline, venlafaxine et trazodone) et les antipsychotiques (antipsychotiques à effet dose-dépendante : chlorpromazine et clozapine ; antipsychotiques à risque élevé : fluphenazine, haloperidol, pimozide et isperidone) [19, 40], les stéroïdes, le baclofène, les opiacés (morphine, tramadol) [2, 4]. Si les modifications physiologiques gravidiques sont susceptibles de donner lieu à des CE, chez environ 55% des parturientes la fréquence des CE reste inchangée, et la fréquence est diminuée dans 10% des cas [27]. En outre, les femmes libres des CE plusieurs mois avant la conception, pendant environ 9 mois, présentent 84 à 92% de chance de ne pas avoir de crises durant toute la grossesse [17, 47]. INFLUENCE DE L’EPILEPSIE SUR LA GROSSESSE L’épilepsie en elle-même n’a pas d’effets néfastes sur le bon déroulement de la grossesse. La comparaison des femmes épileptiques non traitées par AE et les femmes non épileptiques ne montre pas de différence significative en termes de risque de survenue de malformations ftales [16]. Il a aussi été démontré qu’il n’existe pas de rapport entre le risque de survenue de malformations ftales et l’existence d’une épilepsie non traitée [23]. Cependant, la survenue des CE généralisées pendant la grossesse est pourvoyeuse d’acidose lactique et d’une diminution du débit sanguin placentaire responsable d’une hypoxie ftale avec comme conséquences la mort ftale in utero, les hémorragies intracrâniennes ftales, la bradycardie ftale transitoire [39, 42]Il est donc important d’éviter au maximum la survenue des CE durant la grossesse et le rôle du praticien est de conseiller à chaque femme épileptique d’observer plusieurs mois de stabilité, environ 9 mois, avant d’envisager une grossesse afin de réduire le risque de survenue des CE. INFLUENCE DES MEDICAMENTS ANTIEPILEPTIQUES (MAE) SUR LA GROSSESSE L’exposition à des AE est un facteur de risque de survenue de CFM chez les femmes épileptiques enceintes [8]. Une méta-analyse portant sur 38 études incluant 2837325 grossesses a mis en évidence un risque de survenue de CFM (malformations ftales, fausse couche, prééclampsie, diabète gestationnel, retard de croissance intra-utérine, mort ftale in utero, accouchement prématuré, césarienne, hémorragie du postpartum) plus élevé chez les femmes épileptiques traitées que celles non traitées [49]. La même méta-analyse montre que le risque de survenue de CFM est encore plus élevé en cas de polythérapie. Cependant, cette méta-analyse présente quelques limites car elle ne tient pas compte des comorbidités associées, l’âge des patientes, la parité, le type d’AE, le type d’épilepsie, la prise de toxiques (alcool, tabac). Les effets des AE sur la grossesse sont variables et dépendent non seulement de la molécule utilisée mais aussi du nombre de molécules associées. En outre, le risque des CFM est plus élevé pour les anciens AE que pour les AE de nouvelle génération (nouveaux AE). ANCIENS AE La phénytoïne et le phénobarbital augmentent le taux de malformations cardiaques et les fentes labiales [39]. Par rapport à la population générale et aux femmes épileptiques non traitées l’exposition pendant la grossesse à la carbamazépine augmente le risque de prééclampsie, de métrorragies pendant la grossesse, d’hypotrophie ftale, de microcéphalie, d’accouchement prématuré et d’hémorragie de postpartum [9, 14]. La carbamazépine augmente également le taux de malformations ftales notamment les anomalies de la fermeture du tube neural, les fentes labiales, les cardiopathies et les hypospadias, surtout lorsqu’elle est prise au premier trimestre de la grossesse [39, 45]. Nouveaux AE L’exposition à la lamotrigine, durant la grossesse, augmente le risque de survenue de prééclampsie (risque relatif RR à 7,5), d’hypotrophie ftale, de métrorragies pendant la grossesse (RR à 6,2) et d’hémorragie de postpartum [9, 14]. Les malformations ftales liées à l’exposition à la lamotrigine sont rares. Ce sont les fentes labiopalatines, les hypospadias, les atrésies de l’sophage ou duodénales [12, 24, 39]. La prise de topiramate au premier trimestre de la grossesse augmente le risque de survenue de complications ftales telles que microcéphalie, le retard de croissance intra-utérine, les fentes labiales [1, 14, 21, 51]. En comparaison avec la population générale, les malformations ftales sont rares en cas d’exposition au lévétiracétam utilisé en monothérapie [11, 29, 34]. Les malformations rapportées sont surtout les anomalies squelettiques [34]. Par rapport à la population générale, il n’y a pas de différence significative du risque de survenue de malformations ftales chez les femmes épileptiques exposées à l’oxcarbazépine [33, 35]. Le taux de malformations ftales liées à l’exposition, au premier trimestre de la grossesse, à la gabapentine, à la vigabatrine, à la prégabaline, est faible et sans différence significative par rapport à la population générale [51]. Effet dose La relation entre la posologie et le risque de malformations ftales a été décrite pour quatre molécules : le phénobarbital, la carbamazépine, la lamotrigine et le valproate de sodium [44]. Ainsi, avec une dose de valproate de sodium supérieure à 1000 mg/j, le risque de malformations ftales est de 7, il est de 1,5 avec une dose entre 600 mg et 1000 mg/j et de 1 avec une dose inférieure ou égale à 600 mg/j [27, 43, 48]. Le risque de malformations ftales est augmenté pour le phénobarbital lorsque la dose est supérieure à 150 mg/j, pour la carbamazépine avec des doses de 1000 mg/j et pour lamotrigine avec des doses de 300 mg/j [44]. Mais le risque des CFM ne doit pas conduire le praticien à déconseiller la grossesse à une jeune femme épileptique. Le rôle du praticien est d’instaurer un traitement AE optimal chez chaque femme épileptique en âge de procréer et d’introduire une supplémentation en acide folique à la dose de 5 mg/j deux mois avant la conception jusqu’à la fin du premier trimestre de grossesse afin de minimiser le risque de survenue des malformations ftales [39, 42]. SURVEILLANCE OBSTETRICALE Une surveillance échographique rapprochée, chez les femmes épileptiques sous traitement antiépileptique, s’avère nécessaire dans le but de détecter les malformations ftales. De plus, le dosage de l’alpha-ftoprotéine dans le sang maternel entre la 14ème et la 18ème semaine d’aménorrhée permet de détecter une anomalie de fermeture du tube neural [27]. ACCOUCHEMENT ET ALLAITEMENT Accouchement L’accouchement par voie basse ne présente pas de problèmes particuliers chez les femmes épileptiques stables. L’accouchement par voie haute ne sera réalisé qu’en cas de complications obstétricales telles qu’une prééclampsie sévère, des métrorragies du troisième trimestre ou en cas de crises épileptiques généralisées répétées avec souffrance ftale. Après accouchement, une supplémentation en vitamine K s’avère nécessaire chez les nouveau-nés issus des femmes épileptiques traitées par AE inducteurs enzymatiques (carbamazépine, phénytoïne, phénobarbital, etc.) [27]. Ces derniers MAE entraînent chez le nouveau-né une déplétion en facteurs de la coagulation vitamine-K dépendants et par conséquent la maladie hémorragique du nouveau-né [42]. Allaitement Tous les AE passent dans le lait maternel mais à des concentrations variables selon les molécules. Le passage des AE du plasma maternel au lait maternel répond aux principes de la diffusion passive à travers les membranes lipidiques selon un gradient de concentration. En outre, les AE à bas poids moléculaire, à faible degré de liaisons protéinique et liposolubles ont un taux de passage dans le lait maternel élevé [38]. Ainsi, l’exposition aux AE continue même après la naissance chez les enfants nés des femmes épileptiques traitées. Cependant, la concentration des AE dans le sang de l’enfant dépend de l’absorption, du catabolisme et de l’élimination du médicament par l’enfant [26]. En effet, il existe un risque d’accumulation de ces AE chez les enfants ayant des capacités métaboliques immatures avec un risque majeur de toxicité [37]. Enfin, ce risque demeure insignifiant lorsque les doses journalières reçues par les enfants nés à terme sont inférieures à 10% des doses pédiatriques recommandées ou encore par rapport à la dose journalière maternelle [25, 37]. Les anciens AE ont un degré de liaison protéinique élevé et un faible taux de passage dans le lait maternel et sont tous compatibles avec l’allaitement. Le rapport des concentrations de l’AE dans le lait et dans le plasma (L/P) est de 0,01 à 0,3 pour le valproate de sodium, de 0,1 à 0,6 pour la phénytoïne, de 0,2 à 0,7 pour la carbamazépine et de 0,3 à 0,5 pour le phénobarbital [5, 46]. Toutefois, en raison de l’hépatotoxicité des anciens AE, il est important de surveiller chez les nourrissons nés des femmes épileptiques traitées, la survenue d’un ictère ou d’un autre dysfonctionnement hépatique à l’origine d’une élévation du taux sanguin des enzymes hépatiques. La lamotrigine a un taux de liaison protéinique de 55% et passe en quantité modérée dans le lait maternel avec un taux de passage de 0,1 à 1,4 [36]. Les nourrissons ont une capacité limitée à métaboliser la lamotrigine ainsi que l’oxcarbazépine dont le taux de passage dans le lait est égal à 0,5 [6]. Ces nourrissons ont le risque d’avoir un taux sérique élevé pour ces 2 molécules. S’il n’existe pas d’effets indésirables en rapport avec un taux sérique élevé en oxcarbazépine chez les nourrissons [13] quelques effets secondaires ont été rapportés avec la lamotrigine notamment une éruption cutanée, une diminution du nombre de tétées, et une somnolence [13]. La lamotrigine et l’oxcarbazépine sont donc compatibles avec l’allaitement mais doivent être utilisés avec précaution ainsi que la gabapentine, la vigabatrine, la prégabaline, le lévétiracétam et le topiramate [50]. EFFETS DES MAE SUR LES FONCTIONS INTELLECTUELLES DES ENFANTS L’exposition aux MAE entraine une altération des fonctions intellectuelles chez les enfants nés des femmes épileptiques traitées durant la grossesse [3, 30, 31]. Ainsi, les enfants exposés au valproate de sodium à une dose supérieure à 800 mg/jour, pendant la grossesse, avaient un quotient intellectuel (QI) inférieur à celui des enfants exposés à la lamotrigine et à la carbamazépine [3]. A une dose inférieure à 800 mg/jour de valproate de sodium, on ne note pas de différence significative avec le QI des enfants exposés pendant la grossesse à la lamotrigine et à la carbamazépine [3]. Les enfants exposés au valproate de sodium avaient un QI diminué de 9,7 points par rapport à la population générale, de 4,2 points pour ceux exposés à la carbamazépine et sans différence significative en cas d’exposition à la lamotrigine [3]. Il a également été rapporté, chez les enfants exposés aux MAE pendant la grossesse, une altération des capacités verbales, attentionnelles, d’apprentissage et de mémorisation [3, 10, 30]. Ces performances sont plus mauvaises chez les enfants exposés au valproate de sodium que chez ceux exposés à la lamotrigine, à la carbamazépine surtout lorsque la dose du valproate de sodium est supérieure à 800 mg/jour [3, 30, 31]. La comparaison entre les enfants nés des femmes épileptiques exposées aux MAE ayant reçu la supplémentation en acide folique avant la conception et ceux nés des femmes épileptiques exposées aux MAE n’ayant pas reçu la supplémentation en acide folique, ne montre pas de différence significative du QI entre les deux groupes [3]. CONCLUSION Le rôle du praticien est d’instaurer un traitement antiépileptique optimal chez toute femme en âge de procréer afin de prévenir et/ou de minimiser le risque des complications fto-maternelles. Une supplementation en acide folique avant la conception semble réduire le risque de complications fto-maternelles. Les données récentes de la littérature encouragent l’allaitement chez les femmes épileptiques traitées, quel que soit la molécule utilisée, mais une surveillance des enfants s’avère nécessaire en raison des effets de certaines molécules sur les fonctions cognitives des enfants nés de mère épileptiques traitées durant leur grossesse Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Contributions des auteurs Tous les auteurs ont contribué à la réalisation de ce travail et tous ont lu et approuvé la version finale de ce travail. REFERENCES
|