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ORIGINAL PAPERS / ARTICLES ORIGINAUX
 
HOMOCYSTEINEMIE ET ACCIDENTS VASCULAIRES CEREBRAUX ISCHEMIQUES AU CHU CAMPUS DE LOME



  1. Service de Neurologie, CHU de Lome BP. 4231. Lome, Togo
  2. Laboratoires de biochimie et de nutrition : Université de Lomé

E-Mail Contact - GRUNITZKY Eric K. : kgrunitz@syfed.tg.refer.org


RESUME

L’hyperhomocystéinémie est un facteur de risque vasculaire indépendant et modifiable. Sa place dans les accidents vasculaires cérébraux ischémiques est mal connue en Afrique sub-saharienne.

Objectifs

Evaluer la prévalence et les facteurs de risque vasculaires associés à l’hyperhomocystéinémie chez des patients à la phase aigue d’une ischémie cérébrale.

Methode

Il s’agit d’une étude prospective réalisée pendant 12 mois dans le service de neurologie du CHU Campus, portant sur 145 malades victimes d’AVCI.

Resultats

Nous avions recensé 90 hommes et 55 femmes soit un sex-ratio de 1,6. L’homocystéinémie moyenne globale était de 19.33 µmol/l. L’homocystéinémie était normale chez 44.1 % des patients. L’hyperhomocystéinémie modérée avait été retrouvée chez 44.8 % des patients (n=65) et l’hyperhomocystéinémie intermédiaire chez 11 % (n=16). L’analyse multivariée entre la variable homocystéine (patients avec hyperhomocystéinémie, patients sans hyperhomocystéinémie) et les autres facteurs (sexe, âge, diabète et hypertension artérielle) ne révèle aucune corrélation significative. Enfin 84.9% de nos patients étaient hypertendus tandis que 15.1% présentaient l’hyperhomocystéinémie comme seul facteur de risque cérébro-vasculaire.

Conclusion

La présence de l’hyperhomocystéinémie chez 55.9 % des patients souffrant d’AVCI impose une prise en charge adéquate de ce facteur de risque vasculaire.

Mots-Clés : Hyperhomocystéinémie, facteur de risque, accident vasculaire cérébral ischémique


SUMMARY

Hyperhomocysteinemia is an independent and modifiable vascular risk factor. Its frequency in ischemic strokes is not known in Sub-saharian Africa.

Objectives

To evaluate the prevalence and vascular risk factors associated to hyperhomocysteinemia among patients victims of acute ischemic strokes.

Method

It was a prospective study during 12 months, on 145 patients, victims of ischemic strokes, in the department of neurology at the campus teaching hospital of Lomé.

Results

According to the sex, we had 90 men and 55 women with a sex-ratio of 1.6. Homocysteinemia average rate was of 19.33 µmol/l. Homocysteinemia was normal in 44.1% of patients. Moderate hyperhomocysteinemia was founded in 44.8% of patients and intermediate hyperhomocysteinemia in 11%. There was no correlation between homocysteinemia and other risk factors of stroke (age, sex, high blood pressure, diabetes)

Conclusion

The high frequency of hyperhomocysteinemia (55.9%) among patients with acute ischemic strokes dictates the management of this risk factor.

Key words: Hyperhomocysteinemia, risk factor, ischemic strokes

INTRODUCTION

L’homocystéine est un acide aminé soufré intermédiaire du métabolisme de la méthionine. Elle est synthétisée par toutes les cellules de l’organisme et peut être catabolisée selon deux voies : la voie de la transulfuration et la voie de la reméthylation (2,4).
La concentration plasmatique d’homocysteine chez un sujet normal est comprise entre 5 et 15 µmol/l (8). L’élévation de cette concentration détermine l’hyperhomocysteinemie (Hcy). Cette Hcy peut avoir pour origine des troubles d’ordre génétique, nutritionnel, thérapeutique voire physiologiques (1,4,7).

L’existence d’une forte prévalence de l’Hcy (62,3%) avec des taux de folates inférieurs à 6,75 nmol /l et un génotype MTHFR CT/TT a été récemment rapportée dans les régions côtières de l’Afrique de l’Ouest, particulièrement au Togo et au Bénin (1). De nombreuses études montrent une association entre Hcy et l’augmentation des risques de maladies coronariennes, cérébrovasculaires et vasculaires périphériques (2,5,9,12,16,19,25,26). D’autres encore soulignent l’importance de l’Hcy modérée sur l’incidence des thrombo-embolies, à la fois artériels et veineux, ainsi que sur le risque de thromboses veineuses juvéniles ou récurrentes (2,11,13, 15,27). L’Hcy est donc considérée comme un facteur de risque cardiovasculaire et cérébro-vasculaire indépendant (9).

De rares et récentes publications suggèrent l’existence d’une corrélation probable entre l’Hcy et une fréquence élevée des accidents vasculaires ischémiques (AVCI) chez l’africain américain (21). L’épidémiologie de cette association reste mal cernée chez le noir africain.
Le but de ce travail était d’évaluer la prévalence et les facteurs de risque vasculaires associés à l’ Hcy chez des patients à la phase aigue d’une ischémie cérébrale dans le service de neurologie du CHU campus de Lomé.

METHODOLOGIE

Le service de neurologie du CHU Campus de Lomé dispose de 28 lits répartis dans 5 salles communes, une salle d’urgences cérébro-vasculaires et 4 cabines individuelles. Il accueille 3600 consultations externes et 650 hospitalisations chaque année.
Il s’agit d’une étude prospective réalisée en 12 mois, du 5 mai 2007 au 5 mai 2008. Elle avait porté sur 145 patients consécutifs victimes d’AVCI et admis dans le service. Le diagnostic de l’AVCI avait été posé sur des critères cliniques et scannographiques (30). Trente patients ayant un AVCI mais ayant consulté dans une formation sanitaire et reçu des perfusions de solutés ou des vitamines du groupe B puis transférés secondairement dans le service de neurologie du CHU Campus ont été exclus. Chaque patient, avait bénéficié d’un examen clinique avec recherche de 2 principaux facteurs de risque cardiovasculaires : hypertension artérielle (HTA) et diabète. Un patient est hypertendu lorsqu’il a une tension artérielle supérieure à 140/90 mmHg, diabétique s’il a une glycémie à jeun supérieure à 1.20g/l
Pour le dosage de l’homocystéinémie, les prélèvements de sang ont été faits à jeun avant l’administration de solutés, dans un tube à EDTA. Le sérum a été séparé du culot en moins de 4 heures par centrifugation pendant 10 minutes à 3000 tours par minute.
Le dosage de l’homocystéine avait été fait par la technique de polarisation de fluorescence (FPIA). Il avait été effectué par le test IMX (Abbot), une technique immuno-enzymologique microparticulaire automatisée, qui utilise du dithiothreitol pour réduire l’homocystéine liée aux protéines plasmatiques et à d’autres petites molécules par des liaisons disulfures. Puis de la S-adénosylhomocystéine (SAH) hydrolase qui catalyse la transformation de l’homocystéine en SAH en présence d’adénosine. Cette SAH est mise en compétition avec un traceur marqué à la fluorescéine qui, vis-à-vis d’un anticorps monoclonal, reconnaît la SAH. L’intensité de la polarisation de la fluorescéine engendrée par le complexe formé est finalement mesurée par le système optique FPIA sur l’analyseur IMX.
Nous avons considéré le seuil de 15 µmol/l comme seuil d’homocystéinémie normale, (12). l’Hcy modérée entre 15 et 30 µmol/l, intermédiaire entre 30 et 100 µmol/l et sévère au – delà de 100 µmol/l. Les hcy sévères sont exclusivement d’ordre génétique (12). La classification ainsi faite oriente vers l’étiologie de l’Hcy et sa prise en charge.

Les résultats sont présentés sous forme de moyennes. Les données sont analysées à l’aide du logiciel «SPSS». Les moyennes de l’homocysteinemie ont été comparées dans différentes catégories à partir du test « ANOVA » La régression logistique et le coefficient de corrélation ont été utilisés pour analyser les relations existant entre l’Hcy, l’âge, le sexe, l’hypertension artérielle et le diabète.

RESULTATS

Notre analyse a porté sur 145 malades consécutifs victimes d’AVCI et répondant à nos critères d’inclusion. L’âge moyen était de 61.5 ans avec des extrêmes de 31 et 85 ans. Nous avions recensé 90 hommes (62.1%) et 55 femmes (soit 37.9%) soit un ratio homme/femme de 1.6. Le tableau 1 montre la répartition par âge et par sexe des patients.
Sur le plan clinique 128 soit 87.3 % des patients avaient présenté un déficit hémicorporel ; 15 soit 10.3 %, un déficit des fonctions cognitives ; 2 soit 1.4 % avaient des vertiges et des troubles de l’équilibre sans déficit focal et 1 soit 0.7 % des patients avait présenté des crises convulsives.

L’homocystéinémie moyenne était de 19.33 µmol/l avec des extrêmes de 4.22 et de 84.62 µmol/l ; 65 patients (44.8%) avaient une Hcy modérée et 16 (11 %) une Hcy intermédiaire. Le tableau 1 montre la moyenne de l’homocystéinemie dans la population étudiée et la répartition des sujets présentant une Hcy et ceux présentant une homocystéinemie normale par tranche d’âges et par sexe.

L’homocystéinémie n’est significativement plus élevée chez l’homme (20.66 µmol/l ) que chez la femme (17.15 µmol/l) qu’au seuil de 10 % : p=0,063.

Au total 122 (84.1%) patients étaient hypertendus, 23 (15.9 %) ne l’étaient pas. Chez les sujets hypertendus, l’homocystéinémie était de 19.31 µmol/l et de 19.44 µmol/l chez les sujets non hypertendus (P=0,959). En revanche 24 (16.6 %) patients étaient diabétiques, 121 (83,4%) patients ne l’étaient pas. Il n’y avait pas de différence significative entre l’homocystéinémie chez le diabétique (19.57 µmol/l), et le non diabétique (19.28 µmol/l) ; (P=0,907). Le tableau 2 croise le taux d’homocystéine et les autres facteurs de risque vasculaires comme le diabète et l’HTA.

Au total, l’analyse multivariée (régression logistique) entre la variable homocystéinémie (patients avec Hcy et patient sans Hcy) et les autres facteurs (sexe, âge, HTA, diabète) ne révélait aucune corrélation significative.

DISCUSSIONS

Nous avons noté une homocystéinémie moyenne élevée chez les patients victime d’AVCI (19.33 µmol/l). Plus de la moitié de nos patients (55.9%) avait une Hcy supérieure à 15 µmol/l.

Au Togo et au Bénin, les travaux sur les marqueurs nutritionnels menés par Amouzou et al (1) ont rapporté une prévalence de 56% d’Hcy modérée dans la population générale avec une prédominance sur la région côtière que dans les savanes. Les conditions socio-économiques souvent déplorables de nos populations les contraignent à une sous alimentation chronique expliquant cette prévalence élevée d’Hcy modérée sur la côte ouest africaine. La prévalence de l’Hcy dans la population générale serait de 5 à 10 % selon un seuil fixé aux 90ème ou 95ème percentiles (environ 15 µmol/l). Ubbink J. B (29) et al ont rapporté un taux d’Hcy modérée d’environ 5 à 8 % dans la population générale.

Les taux plasmatiques d’homocystéinémie chez nos patients variaient entre 4.22 et 84.62 µmol/l. Nous n’avons pas recherché une cause génétique. Le coût très élevé de l’étude des polymorphismes génétiques des différentes enzymes a limité nos champs d’investigations.
Nous n’avons pas trouvé par ailleurs un taux d’Hcy superieur à 100 µmol/l. Nous pensons qu’il s’agit surtout de causes carentielles. En effet l’Hcy causée par des carences vitaminiques (folate, cobalamine) est dans la plupart des cas modérée. Elle peut être corrigée par une supplémentation vitaminique (10,13,14,28).

L’homocystéinémie était élevée au-delà de 15 µmol/l chez 81 (55.9%) patients victimes d’AVCI. Brattström L. (5) a, dans son étude, rapporté une prévalence de 20 à 30 % d’Hcy dans la population des patients souffrant d’athérosclérose. Si l’on se fie aux résultats d’études menées dans la population, jusqu’à 10 % des accidents vasculaires pourraient en fait être attribuables à une augmentation des taux plasmatiques d’homocystéine. En Espagne Cardo E. et al (6) ont rapporté une Hcy modérée chez 36 % des enfants victimes d’une ischémie cérébrale. Par contre ce taux pourrait s’élever à 30 ou 40 % chez les sujets âgés. Il est maintenant bien établi que l’augmentation de la concentration plasmatique en homocystéine est un facteur de risque cardiovasculaire avéré. Elle favorise l’athérosclérose et provoque une fréquence élevée d’insuffisance coronarienne et d’AVC. De même il a été observé qu’une concentration plasmatique élevée en homocystéine était associée à des troubles cognitifs (20,24).

L’âge moyen global de nos patients était de 61.5 ans. Ceci confirme la survenue en forte proportion des AVC en général et des AVCI en particulier après 50 ans. Les sujets de moins de 45 ans ne représentaient en effet que 8.3 % de l’effectif total de notre étude. Les taux moyens d’homocystéinémie selon l’âge étaient de 17.41 µmol/l chez les patients de moins de 45 ans, 20.45 µmol/l chez ceux de 45 à 60 ans et de 18.77 µmol/l chez les patients de plus de 60 ans. Nous n’avons pas noté de différence significative entre les taux moyens d’homocystéine (p=0,21) en fonction de l’âge. Les taux d’homocystéine augmenteraient avec l’âge aussi bien chez l’homme que chez la femme. Le taux sérique d’homocystéine des enfants serait de 30 % inférieur à celui des adultes (6,17,22,23). Cette plus grande fréquence de l’Hcy dans la population âgée a été expliquée par une prévalence également accrue de déficit en vitamines du groupe B (7,23). Ce déficit en vitamines du groupe B se retrouve aussi chez les alcooliques. Blasco et al (3) à Barcelone ont signalé une prévalence de 29.1 % dans la population alcoolique.
Nous avions noté 55 femmes pour 90 hommes, avec un sex-ratio de 1.6. Il existait une différence significative entre le taux moyen d’homocystéine chez les hommes (20.66 µmol/l ) et chez les femmes (17.15 µmol/l ) qu’au seuil 10% (p=0,063). Généralement, la concentration plasmatique d’homocystéine est plus élevée d’environ 10 à 25 % chez l’homme que chez la femme en période d’activité génitale (7,14,29). Après la ménopause, ce taux peut augmenter à condition qu’il n’y ait pas de supplémentation en œstrogène. Ceci laisse supposer que l’état hormonal influence le métabolisme de l’homocystéine (14).
Les facteurs de risque de L’AVCI en Afrique sont multiples et dominés par l’HTA et le diabète. L’Hcy devrait également être recherchée. Nous n’avons pas noté de corrélation entre l’Hcy et l’HTA. Les travaux de Dalery et al. (10) ont abouti au résultat selon lequel l’Hcy exerce un effet indépendant et pourrait même interagir avec d’autres facteurs notamment lipidiques, qui influent sur le risque cérébrovasculaire. Par contre Malinow et al (18) ont rapporté dans leur étude une forte corrélation entre Hcy et HTA. En effet 77% des patients de leur étude présentaient une Hcy et une HTA.

Dans notre série, 16.6 % de nos patients étaient diabétiques. Il n’avait pas été établi de corrélation significative entre l’homocystéinémie plasmatique et le diabète. Cependant, il est à noter que les diabétiques peuvent avoir une Hcy car les taux d’insuline anormalement élevés empêchent l’organisme de réduire et maintenir une homocystéinémie normale. En effet, il a été démontré que l’homocystéine avait un effet nettement plus puissant sur les diabétiques, comparativement aux non diabétiques : un taux d’homocystéinémie élevé associé au diabète entraîne un risque de mortalité sur 5 ans de 90% supérieur à celui des non diabétiques présentant un taux élevé d’homocystéine normal (9,14).

CONCLUSION

L’Hcy est un facteur de risque cérébro-vasculaire indéniable. Le taux moyen d’homocystéine dans notre étude de 19.33 µmol/l était supérieur au taux moyen dans la population générale dans la région. L’Hcy était associée chez la grande majorité des patients à d’autres facteurs de risque vasculaire : chez 85,7% des patients à l’HTA et chez 16,6 % des patients au diabète. Elle devrait être recherchée de façon systématique chez les patients présentant un AVCI.

Tableau 1 : Homocystéinémie chez 145 patients victimes d’accident vasculaire cérébral ischémique

Tranches d’âges (ans) Population étudiée Sujets avec Hcy > 15µmol Sujets avec H ≤ 15 µmol
Hommes (n) Hommes (%) Femmes (n) Femmes (%) Total (n) Total (%) H. moy. µmol Hommes (n) Hommes (%) Femmes (n) Femmes (%) Total (n) Total (%) Hommes (n) Hommes (%) Femmes (n) Femmes (%) Total (n) Total (%)
<45 7 58.3 5 41.7 12 8.3 17.41 3 50 3 50 6 7.4 4 11.4 2 6.9 6 9.4
45-60 37 63.8 21 36.2 58 40 20.45 23 69.7 10 30.3 33 40.7 14 40 11 38 25 39
>60 46 61.3 29 38.7 75 51.7 18.77 29 69 13 31 42 51.9 17 48.6 16 55.1 33 51.6
Total 90 62 55 38 145 100 19.33 55 68 26 32 81 55.9 35 54.7 29 45.3 64 44.1

H. moy. = homocystéinémie moyenne.

Hcy = hyperhomocystéinémie

Tableau 2 : Homocystéinémie et autres facteurs de risques vasculaires (diabète, HTA)

Population Sujets avec Hcy > 15 µmol Sujets avec H ≤ 15 µmol
Hommes (n = 90) Femmes (n = 55) Hommes (n =55) Femmes (n = 26) Hommes (n = 35) Femmes (n = 29)
Diabète
Oui n = 24 13 11 7 5 6 6
Non n = 121 77 44 48 21 29 23
HTA
Oui n = 122 77 45 48 23 29 22
Non n = 23 13 10 7 3 6 7

H = homocystéinémie

Hcy= hyperhomocystéinémie


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