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LA RÉDACTION MÉDICALE : LE STYLE SCIENTIFIQUE



  1. Service de rhumatologie CHU-Tokoin de Lomé, Togo

E-Mail Contact - MIJIYAWA Moustafa : mijiyawa@syfed.tg.refer.org


La rédaction d’articles biomédicaux obéit à des règles qui ont fait l’objet d’ouvrages spécialisés (1, 2, 3, 4, 7). Des recommandations ont été élaborées en 1978 par les rédacteurs de grandes revues biomédicales. Il s’agissait de recommandations dont le caractère uniforme visait à assurer une meilleure diffusion de l’information médicale (5). Cette harmonisation était d’autant plus nécessaire que la documentation médicale connaît une croissance exponentielle : 40.000 références provenant de 4.300 revues biomédicales sont ajoutées chaque mois au fichier du Medline. Fait important, cette prolifération de la documentation médicale contraste avec le caractère inextensible du temps dont dispose le médecin pour s’informer. La maîtrise des normes rédactionnelles devient ainsi un impératif; elle s’avère indispensable aussi bien à la rédaction qu’à la lecture d’articles biomédicaux.

La rédaction médicale scientifique a pour objectif fondamental la transmission et la diffusion de l’information médicale. Tout doit concourir à rendre le message intelligible et accessible. Trois principes régissent ainsi le style scientifique : la précision, la clarté et la concision. Ces principes traduisent respectivement la rigueur et l’intégrité, la simplicité et l’intelligibilité, et l’accessibilité et la diffusion (3, 7). Ces principes sont valables quelle que soit la langue. Fait important, on ne peut se faire comprendre sans respecter le code de la langue. Ainsi la rédaction médicale scientifique se fait dans le strict respect des règles de grammaire, d’orthographe, de conjugaison et de syntaxe. Le style scientifique s’oppose par différents aspects au style littéraire (2 3,7) :

• le style littéraire est avant tout un art véhiculant un message dont l’accessibilité n’est pas toujours une priorité ; il peut être complexe, énigmatique et réservé aux seuls initiés ; par contre, le style scientifique est avant tout une technique répondant à des normes qui assurent l’accès du plus grand nombre à l’information véhiculée;
• le style littéraire est personnel et pratiquement spécifique à l’auteur auquel il s’identifie. Le style scientifique est universel, impersonnel, et dénué de toute finalité esthétique ;
• la diversité d’interprétation et de compréhension fait la richesse d’un texte littéraire dont le style laisse libre cours à la méditation et à l’imagination du lecteur. Par contre, le style scientifique vise à assurer la même compréhension du message par tous les lecteurs.

La précision

La précision consiste à ne laisser place à aucune indécision dans l’esprit du lecteur. Elle traduit la rigueur scientifique des auteurs et trouve sa pleine expression dans le chapitre “Matériel et méthodes”. Elle est à la base de la reproductibilité de l’étude rapportée. Elle impose de quantifier tout ce qui est mesurable et de rendre mesurable ce qui ne l’est pas. Le manque de quantification des résultats est la première source d’imprécision.

La précision réside avant tout dans le choix du mot juste. Les mots susceptibles de revêtir plusieurs sens sont à éviter au profit de mots univoques. De même, il faut éviter l’emploi du sens figuré et recourir au sens propre des mots conformément à la définition du dictionnaire. L’imprécision peut résulter de l’utilisation inadéquate de certains mots. Il peut s’agir de termes ayant un sens différent en français formel et familier. Par exemple, “méthodologie” (étude des principes et des méthodes scientifiques) est souvent utilisée à tort à la place de “méthodes” (ensemble des étapes permettant d’arriver aux résultats) ; “pathologie” (étude des maladies) est régulièrement utilisée à la place de “maladie” ; “empirique” est compris par certains comme vague, fondé sur des impressions non confirmées alors qu’il a trait à “ce qui s’appuie sur l’expérience ou l’observation” (7).

Les adverbes et les adjectifs sont à remplacer par des données chiffrées : “amaigrissement de 20 kg” au lieu de “amaigrissement important”, “douleur résiduelle à 10%” au lieu de “malade très soulagé”. La précision impose de définir de façon chiffrée des concepts aussi courants que “obésité”, et “fièvre”. Certaines comparaisons sont à éviter car sources de confusion et d’imprécision : la taille d’une tumeur se mesure en centimètre et non en fruit (orange, mandarine, petit pois) (3, 4, 7).

Les chiffres doivent être vérifiés à plusieurs reprises afin de s’assurer de leur cohérence. Le total des pourcentages doit strictement être égal à 100. La discordance des chiffres est une importante cause de discrédit des articles. Les références doivent faire l’objet de plusieurs vérifications : numérotation de toutes les références, appel de toutes les références dans le texte, présence de toutes les références dans la liste des références, transcription correcte des noms des auteurs et des revues, absence d’interversion des références, idée des auteurs fidèlement rapportée (7).

Le passif de modestie est une autre source d’imprécision. “Les questionnaires de qualité de vie” étaient remplis au troisième jour est plus réservé mais moins précis que : “Au troisième jour, un psychologue a rempli les questionnaires de qualité de vie”. Des auteurs hésitent aussi à utiliser le “je” ou le “nous”, qui sont perçus comme prétentieux. Le “je” a pourtant l’avantage d’indiquer avec précision ce qui a été fait par l’auteur (7).

Dans une étude expérimentale, la méthode doit être décrite avec le maximum de précision afin de rendre l’étude reproductible. Dans une étude clinique, les critères diagnostiques ou de classification doivent être décrits. Il peut s’agir d’une maladie dont on dispose de critères élaborés, publiés et validés. Dans ce cas, les auteurs doivent préciser que leurs malades répondaient à ces critères dont ils mentionneront la référence. Dans le cas où l’on ne dispose pas de critères connus et validés, il revient aux auteurs de préciser les paramètres diagnostiques utilisés. Il importe également de décrire avec précision les caractéristiques de la population étudiée en recourant à des données chiffrées. Le critère de jugement est aussi à préciser.

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La clarté

La clarté assure la lisibilité du texte. Elle impose une simplicité de style permettant au lecteur de comprendre aisément le message.

Une bonne organisation du texte en favorise la clarté. Chaque idée est constituée d’un ou de plusieurs éléments. Chaque élément fait l’objet d’un phrase ou d’une proposition subordonnée dotée d’une unité de sens. Toutes les phrases d’un paragraphe doivent constituer un ensemble cohérent. Le paragraphe est délimité par un retour à la ligne et généralement par un alinéa. Il faut recourir à des mots simples, courts, vivants, et concrets. Les phrases doivent être courtes et de structure simple. La mémoire à court terme retient en moyenne 15 mots. Des phrases de plus de 15 mots sont à éviter. Les mots courts allègent l’effort de mémorisation et sont également les plus courants. Il faut éviter des phrases passives et négatives. Le mot le plus important doit être placé en début de phrase (position forte) (3, 6, 7).

Le respect des règles de ponctuation contribue à la clarté du texte . Le point sépare deux phrases (une phrase contient au moins un verbe conjugué). Le point d’interrogation est admis dans les textes scientifiques alors qu’il est exceptionnel d’y trouver un point d’exclamation. Les deux points sont utilisés à la place d’un point pour éclaircir ou développer une notion avec un minimum de mots, ou encore pour annoncer une énumération ou une citation. Le point virgule est moins catégorique que le point mais plus que la virgule. Il soutient une énumération ou sépare deux avis opposés. La virgule sépare les éléments constitutifs d’une phrase. Les tirets sont destinés à isoler plus nettement un élément du reste de la phrase, soit pour le mettre en valeur, soit pour faire un rappel. Les guillemets encadrent un titre d’ouvrage ou une citation de texte. Les parenthèses isolent dans une phrase une indication particulière qui n’est cependant pas à mettre dans une phrase séparée. Les crochets sont utilisés dans le même but mais seulement lorsque le texte contient déjà des parenthèses. Les crochets sont insérés à l’intérieur de la phrase mise entre parenthèses. Les crochets servent aussi à isoler une citation bibliographique (2, 6).

L’usage de la virgule comporte une particularité dans le style scientifique : dans l’énumération de trois éléments et plus, il faut mettre une virgule avant le “et”. L’omission de cette virgule peut être source d’ambiguïté. Dans la phrase : “Les trois patients souffraient respectivement de douleurs épigastriques, de nausées et de vomissements et de diarrhées”. Le lecteur se poserait la question de savoir ce dont souffrait le deuxième patient (de nausées seulement ou de nausées et de vomissements ? (3, 4).

Il faut utiliser le moins possible d’abréviations et y recourir seulement pour des expressions ou des mots trop longs revenant très souvent dans le texte. Si l’on y fait appel, il faut les expliquer. Toutes les abréviations, même celles d’usage courant comme HTA (hypertension artérielle) doivent être expliquées lors de leur première apparition dans le texte. Les noms des micro-organismes seront écrits en entier la première fois, Corynebacterium diphteriae. Dans la suite du texte, le premier nom ou nom générique pourra être représenté par l’initiale (C. diphteriae). Quand les abréviations sont utilisées dans un tableau, il faut les expliquer dans les notes au bas du tableau. Quand elles sont présentes dans une figure, il faut les expliquer dans la légende qui accompagne celle-ci, même si leur explication figure dans le texte. Les abréviations ne sont jamais utilisées dans le titre et le résumé, à moins que l’expression abrégée ne revienne au moins trois fois dans le résumé. Il n’est pas nécessaire d’expliquer les abréviations internationales d’unités de poids et de mesure (3, 4).

La clarté impose d’éviter le recours à des synonymes (variation élégante) dont la compréhension exige une certaine maîtrise de la langue. Il faut exclusivement utiliser les mots présents dans le dictionnaire, éviter les impropriétés (recours à un mot qui existe mais auquel on prête un sens qu’il n’a pas), le barbarisme (emploi d’un mot n’existant pas en principe dans la langue) et les néologismes (création de mots nouveaux en utilisant les ressources propres de la langue, en particulier les préfixes et les suffixes). Le mot “décade” (période de 10 jours) employé à la place de “décennie” (période 10 ans) est une impropriété. Le mot “urgemment”, absent du dictionnaire, relève du barbarisme. Le mot “bilanter” est un néologisme (6).

Le souci de clarté impose d’éviter l’ellipse et le sous-entendu, de même que les points de suspension et l’expression “etc”. Ces éléments qui laissent libre cours à la méditation et à l’imagination du lecteur pêchent à la fois par imprécision et par ambiguïté (3, 4, 7).

Le temps des verbes est un élément à prendre en compte dans un souci de clarté. Deux temps sont utilisés dans le style scientifique : le passé concerne les événements et les découvertes dans le domaine étudié ; le présent est par contre utilisé pour les généralisations et pour les affirmations se rapportant à des états de fait et des connaissances reçues. Le présent de narration (présent de l’indicatif utilisé pour rapporter un fait passé dont on veut mettre en relief le caractère inattendu ou rapide) n’a pas sa place dans le style scientifique car source possible de confusion (1-4).

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La concision

La concision consiste à exprimer les idées en peu de place, sans détours ni détails inutiles. Les phrases longues nuisent à l’efficacité du texte et à son expressivité, de même que les détails superflus nuisent à sa cohérence et en font perdre l’objectif. Une phrase n’est jamais longue si elle ne comporte qu’un sujet, un verbe et seulement des compléments informatifs. La subordination rallonge une phrase. Elle ne doit être envisagée que si l’intégration de deux idées dans une seule phrase permet un gain notable de clarté.

La concision implique le recours exclusif à des mots informatifs. Les “expressions bois mort” et les mots creux dont l’omission ne change pas la compréhension de la phrase sont à supprimer : “il est évident que”, “il est intéressant de noter que”, “un interrogatoire soigneux et un examen minutieux”, “contribution à l’étude de”, “il paraît utile de remarquer que”, “il va sans dire que”, “il est opportun de signaler que”. Les tournures lourdes sont des expressions qui peuvent facilement être remplacées par un seul mot : “de façon appréciable” par “beaucoup”, “l’ensemble des” par “tous”, “de manière à, de façon que, afin que” par “pour”, “il est indispensable” par “il faut”, “fournir une indication” par “indiquer” (3, 7).

Les expressions émotionnelles et les formules de politesse allongent inutilement les phrases. Les expressions émotionnelles expriment généralement ce que les auteurs ont ressenti lors de la survenue d’un événement (nous avons eu à déplorer dix décès) ou d’un résultat (il est important de noter que) mais qui n’apportent aucune information utile eu lecteur. Les compliments que certains auteurs lancent à leurs maîtres ou les clins d’œil à leurs collègues ne sont pas utiles au lecteur 3, 4, 7).

Les répétitions allongent le texte et nuisent à la concision. Les répétitions inutiles les plus habituelles sont : la reprise dans les résultats d’éléments des méthodes ; l’utilisation de la même phrase pour décrire de nombreux résultats similaires qui auraient pu faire l’objet d’un tableau ; la répétition de certains résultats, dans la discussion, dans la synthèse des faits marquants ou dans la mise en perspective de ces résultats ; la description détaillée, dans la discussion, d’études qui ont déjà été largement évoquées dans l’introduction ; double emploi entre le contenu des tableaux ou des figures et le texte (7)

L’historique et la pulsion pédagogique nuisent à la concision. L’historique trouverait sa place dans un article d’histoire de la médecine dont il existe des revues appropriées. Les pulsions pédagogiques sont à l’origine de développements étrangers au travail rapporté.

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Conclusion

Les relectures du document avant son envoi pour publication sont indispensables. Elles permettent de vérifier que les règles de la rédaction médicale scientifique (logique, précision, clarté et concision) ont été respectées (7). L’attention des auteurs portera sur les points suivants : tous les résultats importants ont été évoqués ; tous les résultats évoqués sont importants ; les méthodes et les résultats sont concordants ; le résumé et le corps du texte sont concordants ; les titres et les premières phrases forment un ensemble intelligible ; tous les résultats sont quantifiés ; les incertitudes dans l’objet et le mode passif sont évités ; les abréviations sont peu nombreuses et toutes définies ; tous les mots sont simples et présents dans le dictionnaire ; tous les termes importants ont été définis ; les ellipses et les doubles négations ont été évitées ; aucune phrase n’est trop longue ; les mots creux et les tournures lourdes ont été enlevés ; aucune information n’est répétée.


REFERENCES

  1. BENHAMOU CL, GIRAUDET-LE QUINTREC JS, DOUGADOS M. La rédaction médicale. Une technique de communication scientifique. Sandoz Editions, 1989.
  2. BENICHOUX R. Guide de la communication médicale et scientifique. Sauramps Editions, Montpellier 1997.
  3. FARFOR JA. Enseigner la rédaction médicale. Chapitre III. Le style. Cahiers médicaux 1976;1-2:1053-1059.
  4. HUGUIER M, MAISONNEUVE H, BENHAMOU CL, DE CALAN L, GRENIER B, FRANCO D, GALNICHE JP, LORETTE G. La rédaction médicale. De la thèse à l’article original. La communication orale. Paris, Doin, 1992.
  5. INTERNATIONAL COMMITEE OF MEDICAL JOURNAL EDITORS. Uniform requirements for manuscripts submitted to biomedical journals. Br Med J 1988;296:401-405.
  6. LE LAY Y. Savoir rédiger. Paris, Larousse Bordas, 1997.
  7. SALMI LR. Lecture critique et rédaction médicale scientifique. Comment lire, rédiger et publier une étude clinique ou épidémiologique. Paris, Elsevier, 1998.



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