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ORIGINAL PAPERS / ARTICLES ORIGINAUX
MEDECINE ALTERNATIVE ET COMPLEMENTAIRE CHEZ LES PATIENTS EPILEPTIQUES CONSULTANT AU CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE COCODY DE 2023 A 2024 (COTE D’IVOIRE)
COMPLEMENTARY AND ALTERNATIVE MEDICINE (CAM) IN THE MANAGEMENT OF EPILEPSY PATIENTS IN COCODY HOSPITAL TEACHING FROM 2023 TO 2024 (COTE D’IVOIRE)
E-Mail Contact - TANOH ABEL CHRISTIAN :
ctanoh_med@yahoo.fr
RESUME
Contexte : L’épilepsie est une affection neurologique courante, touchant des millions de personnes dans le monde. Les patients épileptiques cherchent souvent des approches complémentaires pour gérer leurs symptômes et améliorer leur qualité de vie. Objectif général : Évaluer l’utilisation de la médecine alternative et complémentaire (CAM) chez les patients épileptiques au CHU de Cocody. Patients et méthodes : Il s’agit d’une étude transversale prospective qui s’est déroulée sur une période de six mois allant de Novembre 2023 à Avril 2024, chez des patients épileptiques consultant au CHU de Cocody. Résultats : Notre étude a enregistré 121 enquêtés dont 106 patients répondants et 15 aidants. La moyenne d’âge était de 30,64 ans et le sex-ratio (F/H) était égal à 1,16 avec une prédominance féminine (54%). Soixante-onze (71) patients soit 67% ont eu recours à un CAM pour traiter l’épilepsie. Les patients ont principalement utilisé les formes de CAM suivantes : décoction buvable et bain (19%), purge (14%), application topique et argile (11%). Les raisons qui ont poussé nos patients à recourir aux CAM étaient variées : recherche d’une guérison complète et rapide et ignorance de la possibilité d’un traitement médical (27%), non connaissance de la pathologie (9%), mauvaise tolérance du traitement médical (9%). Conclusion : L’étude souligne que l’épilepsie demeure entourée de préjugés, ce qui renforce sa méconnaissance. Face à cela, les patients ont souvent recours à des alternatives thérapeutiques en dehors de la médecine conventionnelle. Toute chose qui concourt à une latence d’une prise de charge efficiente. Mots clés : Epilepsie ; Médecine alternative et complémentaire ; Pays à ressources limitées.
ABSTRACT Background : Epilepsy is a common neurological condition affecting millions of people worldwide. Patients with epilepsy often seek complementary approaches to manage their symptoms and improve their quality of life. General objective : To evaluate the use of complementary and alternative medicine (CAM) in epileptic patients at Cocody University Hospital. Patients and methods: A prospective cross-sectional study was conducted over a period of six months from November 2023 to April 2024, in epileptic patients consulting at the CHU de Cocody. Results : Our study recorded 121 respondents, including 106 respondent patients and 15 caregivers. The mean age was 30.64 years and the sex-ratio (F/H) was equal to 1.16 with a female predominance (54%). Seventy-one (71) patients or 67% used CAM to treat epilepsy. Patients primarily used the following forms of CAM : oral decoction and bath (19%), purge (14%), topical application and clay (11%). The reasons that led our patients to use CAM were varied: search for a complete and rapid cureand ignorance of the possibility of medical treatment (27%), not knowing the pathology (9%), poor tolerance of medical treatment (9%). Conclusion : The study highlights that epilepsy remains surrounded by prejudice, which reinforces its ignorance. In response to this, patients often resort to therapeutic alternatives outside of conventional medicine. This is a factor that contributes to the latency of an efficient treatment. Keywords: Epilepsy ; Complementary and Alternative medicine; Low-income countries. INTRODUCTION L’épilepsie est une des causes de troubles neurologiques ayant un fort impact sur la qualité de vie des personnes affectées (11). Sa prévalence dans les pays développés est estimée à 5‰. En Afrique, elle est supérieure à 10‰ et en Côte d’Ivoire, elle est estimée à 7‰ (9, 13). Les contraintes telles que les effets secondaires des médicaments sur le long terme, la pharmaco-résistance et les considérations socioculturelles pesant sur le patient vivant avec une épilepsie, pourraient expliquer un recours à d’autres approches dites parallèles à la médecine conventionnelle. En effet, les médecines alternatives et complémentaires, ou complementary and alternative medicine (CAM), répondraient parfois à certains besoins spécifiques des maladies chroniques, car perçues par certains patients comme une réponse plus adaptée que la médecine conventionnelle (2, 23). En Chine, une méta-analyse menée de 2013 à 2022 indiquait qu’une approche médicinale traditionnelle chinoise aurait quelques avantages dans le traitement des épilepsies (6). Par ailleurs, des études ont montré que la musique de Mozart (K448) pourrait améliorer les crises d’épilepsie, en lien avec les caractéristiques acoustiques de la musique (22, 25). Dans les pays en développement, l’épilepsie demeure un problème de santé publique avec de nombreux préjugés, car depuis l’aube des temps, la médecine traditionnelle a constitué l’offre de premiers recours en matière de soins en Afrique. De nos jours, environ 80% de la population vivant dans la région africaine dépendent de la médecine traditionnelle pour leurs besoins en matière de soins de santé. L’ensemble des facteurs socioculturels dont les causes supposées de l’épilepsie peuvent expliquer le recours aux thérapeutes traditionnels et aux guérisseurs.D’une manière générale, il s’agit du premier recours, et ce n’est que le constat de plusieurs échecs qui motive une consultation à l’hôpital (8, 19, 21). Si dans les pays développés, une forte sensibilisation a permis une meilleure connaissance et acceptation de l’épilepsie, en Afrique en revanche, l’épileptique est encore trop souvent stigmatisé, du fait de la méconnaissance de la maladie et des croyances surnaturelles ou mystiques(10). La Côte d’Ivoire n’étant pas en reste dans cette globalisation, nous nous proposons d’évaluer dans le contexte ivoirien l’approche thérapeutique alternative et complémentaire des patients et de leur famille face à l’épilepsie. PATIENTS ET METHODES Nous avons mené une étude prospective, monocentrique réalisée au sein du service de neurologie du CHU de Cocody en consultation d’épileptologie. Les consultations d’épileptologie se déroulent tous les lundis de 8h à 12h et reçoivent en moyenne 10 nouveaux patients chaque lundi. Le suivi ultérieur des patients est intégré aux consultations ordinaires. Il s’agissait d’une étude transversale prospective, qui s’est déroulée sur six mois, soit une période allant de novembre 2023 à avril 2024. Notre étude a porté sur 205 sujets de tout sexe, de tout âge, venus en consultation d’épileptologie et dont le patient avait présenté au moins une crise épileptique non provoquée. Les critères d’inclusion étaient : tout patient et/ou aidant (tiers informant) venant et/ou référés pour crise épileptique au CHU de Cocody, tout patient ou aidant (tiers informant) ayant accepté de participer à l’étude et qui ont signé un consentement éclairé, tout patient et/ou aidant (tiers informant) ayant honoré au minimum un rendez-vous de contrôle pour le suivi ultérieur. La collecte des données s’est faite à partir d´un questionnaire renseigné par les patients et/ou de leurs aidants. On a eu recours directement aux aidants pour les enfants et mineurs, pour les patients ayant des difficultés d’expression et de compréhension. L’analyse des données recueillies a été faite à l’aide du logiciel SPSS version 20. L’analyse statistique a été faite à l’aide du logiciel EPI Info 7.2.5. Le recueil des données a été effectué dans le respect de l’anonymat des patients et de la confidentialité de leurs informations. L’analyse a porté sur les caractéristiques sociodémographiques (âge, sexe), les caractéristiques cliniques et thérapeutiques (ancienneté des crises épileptiques, type de recours aux CAM, motivations, attitude face au traitement conventionnel, perception de l’efficacité). Les aidants familiaux ou tiers informant ont également été sollicités à répondre sur leur niveau de connaissance sur l’épilepsie. RESULTATS
Nous avons dénombré 84 cas d’exclusion (14 refus d’aidants et 70 patients n’ayant pas honoré au moins un rendez-vous de suivi ultérieur). Au total nous avons enregistré 121 enquêtés dont 106 patients répondants et 15 aidants. Des 106 patients nous avons observé que ceux âgés de 0 à 15 ans et 16 à 25 étaient les plus nombreux avec un effectif de 35 et 31 soit 33% et 30% respectivement. On notait une prédominance féminine (54%) (Tableau 1). ![]()
Une majorité de 67% des patientsont eu recours à une CAM pour l’épilepsie ; dont 58% ont utiliséuniquement les médicaments traditionnels(bain, décoction buvable, application d’argile, inhalation, purge…) (Tableau 2). ![]() Parmi les raisons évoquées pour recourir à une CAM, il était cité principalement : la quête d’une guérison complète et rapide et/ou l’ignorance de la possibilité d’un traitement médical (Tableau 3). ![]() Quarante-deux (42) patients, soit 40% des patients ayant recours à une CAM n’avaient pas encore débutés un traitement médical, 19% ont utilisé concomitamment la CAM et le traitement médical et 8% ont interrompu le traitement médical. Sous la CAM, 40% des patients n’ont observé aucun changement quant à la fréquence des crises ; seul 1 patient a reconnu un arrêt des crises et 15% une aggravation des crises.
L’analyse du niveau de connaissance des aidants familiaux de patients épileptiques a montré que 60% d’entre eux estimaient que l’épilepsie affectait indifféremment les 2 sexes, 33% déclaraient qu’il s’agissait d’une maladie d’enfants, 20% lui reconnaissaient une contagiosité. Quatre-vingt pourcent (80%) des aidants ont rapporté que l’épilepsie était une maladie curable ; dont 47% précisait que le traitement le plus adapté était le traitement traditionnel associé le traitement médical. DISCUSSION Dans notre série 71 des patients soit 67% de nos patients ont eu recours à la médecine alternative et complémentaire pour traiter l’épilepsie, et majoritairement ont opté pour un traitement traditionnel. Dans une étude similaire, réalisée en Guinée par Arnand et al, 104 participants (79%) ont déclaré avoir consulté un guérisseur traditionnel pour leur épilepsie (4). Au Nigéria, Lagunju a montré que 40% des 175 enfants de son étude avaient déjà reçu une CAM avant de recourir à la médecine occidentale pour le traitement de l’épilepsie (14). Les raisons évoquées au recours à la CAM par nos patients étaient diverses telles que : la quête d’une guérison complète et rapide, l’ignorance de la possibilité d’un traitement médical, la méconnaissance de la pathologie, la mauvaise tolérance du traitement médical, le coût financier du traitement médical, le manque de confiance au traitement médical …. Ces mêmes raisons étaient évoquées par d’autres auteurs (2, 4).Alkabay et al, toujours au Mali, évoquaient d’autres raisons plus spécifiques telles que l’absence de couverture sociale, la distance et la répartition inégale des structures de santé, ainsi que le manque de personnel qualifié ; pour eux tous ces facteurs contribuaient à rendre difficile la situation des personnes atteintes d’épilepsie pouvaient expliquer le recours aux thérapeutes traditionnels et aux guérisseurs (1). Même si 33% des patients de notre série ont opté pour le traitement médical en premier lieu, 19% ont utilisés conjointement la CAM et le traitement médical, 40% ont retardé la mise en route du traitement médical au détriment de la CAM ; justifiant que la majorité de nos patients ne croyaient pas à 100% à l’approche médicale moderne seule. Arnand en Guinée avait fait le même constat (4). Au Nigéria Lagunju montrait que les formes de la CAM utilisées étaient : les préparations à base de plantes (39,4 %), la guérison spirituelle/prière (34,3 %), les scarifications (17,1 %) et les vitamines spéciales (6,1 %) (14). Notre population d’étude était majoritairement jeune avec 73% de moins de 35 ans ; avec une classe modale élevée chez les [0-15] et [16-25] ans. Dans la plupart des études africaines sur la population globale comme dans la nôtre, on retrouvait des pics de fréquence au niveau de la première et de la deuxième décennie de vie comme relevée par cette méta-analyse de Preux et al. (20). La moitié des patients de notre série avaient eu leurs premières crises avant l’âge de 10 ans, 27,37% avant 20 ans et 1,89% après 50 ans. Selon les données de la littérature, plus de 60% des cas d’épilepsie se manifestent avant l’âge de 20 ans (7, 18).Les patients du niveau secondaire et primaire étaient les plus nombreux à avoir recours à la CAM respectivement 36% et 27% dans notre étude ; cette autre étude révélait que 40% chez les patients ayant recours à la CAM avait un niveau d’éducation primaire (12). 20,75% de nos patients (adultes) étaient au chômage ; 6,6% en arrêt scolaire (enfants). En raison des crises non contrôlées ou des informations divulguées sur leur état de santé, les patients, qu’ils soient enfants ou adultes, subissent la discrimination de leur entourage, à l’école ou au travail (3, 15, 16). Les croyances de contagiosité et de non-curabilité de l’épilepsie étaient fréquemment rapportées par ces études africaines comme constaté par l’analyse des aidants familiaux de nos patients (4, 5, 24). Des efforts concertés impliquant décideurs politiques, professionnels de la santé, acteurs sociaux, religieux, aidants familiaux, patients et population en général, pour une approche éducationnelle et de sensibilisation holistique seraient plus efficience pour déconstruire les préjugés et améliorer la prise en charge globale des patients épileptiques dans nos pays à ressources limitées (17). CONCLUSION Au terme de notre étude, nous observons que l’épilepsie reste encore entourée de nombreux préjugés renforçant encore plus sa méconnaissance. La conséquence de cette méconnaissance était le recours à d’autres alternatives thérapeutiques, qui certainement devraient faire leur preuve, par rapport à la médecine conventionnelle. Nous suggérons la mise en place et la réalisation d’études multicentriques afin de mieux cerner les contours de ce pour mieux de médecine alternative et complémentaire dans notre contexte africain. CONFLIT D’INTERET Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt en rapport avec cette étude. Aucune subvention n’a été allouée à l’achèvement de cette étude. REFERENCES
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