CASE REPORT / CAS CLINIQUE
MYASTHENIE ET DYSTHYROÏDIE A PROPOS D’UNE OBSERVATION EN COTE D’IVOIRE
MYASTHENIA AND DYSTHYROIDY: ONE CASE OBSERVED IN COTE D'IVOIRE
- Service de Neurologie, CHU de Yopougon 21 BP 632 Abidjan 21 Côte d’Ivoire
- Service de Neurologie, CHU de Cocody, BP V 13 Abidjan 01, Côte d’Ivoire.
- Service de diabétologie, CHU de Yopougon 21 BP 632 Abidjan Côte d’Ivoire
RESUME
L’association de la myasthénie à une dysthyroïdie a été peu décrite en Afrique. Trois observations seulement ont été rapportées en Afrique du Nord. Nous rapportons un cas observé chez une ivoirienne de 24 ans.
Notre observation qui ne présente aucune particularité clinique et thérapeutique nous permet d’analyser les liens entre les deux affections
Mots-clés: myasthenia gravis, hyperthyroïdie, maladie de Basedow, maladie auto-immune, Afrique noire.
ABSTRACT
The association myasthenia gravis and dysthyroïdy has been very rarely reported in Africa. Only three cases have been reported in North Africa. We report a case observed in a young Ivorian woman of 24 years old.
This case allows us to discus about the links between the diseases
Keywords: myasthenia gravis, hyperthyroidism, Basedow’s disease, autoimmune disease, Africa
INTRODUCTION
La myasthénie est une affection rare d’origine auto-immune. Elle est plus fréquente chez la femme que chez l’homme, surtout entre 20 et 30 ans. Son diagnostic n’est pas aisé et elle peut rester longtemps méconnue.
Elle peut être associée à d’autres affections auto-immunes comme les dysthyroïdies en particulier les hyperthyroïdies. Cette association bien connue a été rarement décrite dans la littérature médicale en Afrique Noire.
L’observation d’un cas en Côte d’Ivoire, nous permet de faire une mise au point sur la pathogénie de cette association.
OBSERVATION
Mlle B.A.A. âgée de 24 ans, ivoirienne, métisse ivoiro -asiatique (grand- mère vietnamienne) a été reçue en consultation au service de Neurologie du CHU de Yopougon le 06 Juillet 2007 pour une suspicion de myasthénie.
Dans ses antécédents on relève un important stress psychoaffectif et un goitre chez la sur aînée.
En 1997, elle a présenté une dysphonie régressive. En 2001 sont apparues une exophtalmie bilatérale douloureuse avec larmoiement et une diplégie faciale, dans un contexte psychoaffectif lourd lié à la succession de plusieurs évènements : accident de la voie publique en mai 2001, décès de la sur cadette en juin 2001 et maladie grave du père en août 2001.
Ce tableau initial s’est complété d’une perte de poids d’environ 5kg en quatre mois associée à des palpitations, une dyspnée d’effort, une hyperémotivité, une insomnie, une fatigabilité musculaire anormale à l’effort prédominant à la racine des membres à l’origine de chutes fréquentes (surtout à la montée des escaliers). Cette fatigabilité variable dans journée est plus marquée le soir que le matin et s’atténue au repos. Par ailleurs on notait la réapparition de la dysphonie associée à des troubles de la déglutition avec la
L’examen clinique neurologique a confirmé les troubles de la phonation et de la déglutition, et la diplégie faciale qui étaient associés à un déficit moteur des 4 membres, sans paralysie oculomotrice. Par ailleurs il y avait un amaigrissement marqué (P= 41kg), une exophtalmie bilatérale asymétrique prédominant à droite. Il n’y avait pas de signes en faveur d’un lupus érythémateux disséminé ou d’une polyarthrite rhumatoïde.
Les taux des hormones thyroïdiennes T3 libre (Triiodothyronine) et T4 libre (Tétraiodothyronine) étaient égaux à 16,7 pmol/l (taux normal compris entre 3,7 et 8,7 pmol/l) et à 29 pmol/l (taux normal compris entre 8 et 21 pmol/l). Le taux de TSHus (Thyréostimuline ultra-sensible) était égal à 0,13 µUI/ml (taux normal compris entre 0,17 et 4,05 µUI/ml).
Les taux d’auto-anticorps anti-récepteurs de l’acétylcholine étaient égaux à 3,8 nmol/l. (taux normal inférieur à 0,2 nmol/l). Les taux d’anticorps anti-récepteurs de la thyroïde étaient normaux.
La recherche des anticorps anti-DNA natifs était négative et l’étude des facteurs rhumatoïdes n’a pas été réalisée
Le reste du bilan sanguin (enzymes musculaires, hémogramme, urée, créatinine, glycémie, vitesse de sédimentation et C-Réactive Protéine) était normal. La sérologie rétrovirale duVIH1 et VIH2 était négative.
L’électroneuromyogramme a objectivé un bloc neuromusculaire avec un décrément significatif égal à 15%. Le scanner crânio-facial a confirmé l’exophtalmie modérée sans lésion focale parenchymateuse cérébrale. Le scanner thoracique à la recherche d’une anomalie thymique et le scanner crânio-encéphalique étaient normaux. Les échographies thyroïdienne et pelvienne étaient normales.
Le traitement a comporté l’association de Néomercazole, de corticoïdes (prednisone) et de Pyridostigmine. Le Néomercazole a été administré à la dose de 10mg x 2 fois par jour pendant 2 mois puis de 10 mg tous les 2 jours pendant1mois, enfin de 10 mg par semaine pendant1mois. La prednisone a été administrée à la dose de 20mg / j pendant 6 mois, et la pyridostigmine à raison de 60mg trois fois par jour. L’arrêt des benzodiazépines prescrites avant le diagnostic de la myasthénie a été recommandé et une carte de myasthénie a été délivrée à la patiente.
L’évolution clinique était favorable, marquée par une récupération pondérale (Poids = 51 kgs 11 mois après le début du traitement ; soit un gain de 10kgs) et par une régression considérable des signes neurologiques avec une régression nette mais transitoire de l’exophtalmie.
Au plan biologique, on notait une compensation de l’hyperthyroïdie marquée par la normalisation de la TSH (Thyréostimuline) et des autres hormones thyroïdiennes au cours des bilans successifs réalisés au 2è, au 4è, au 7è, au 9è et au 11è mois après le début du traitement
COMMENTAIRES
L’association myasthénie et hyperthyroïdie est bien connue et a été décrite en Amérique [2, 3, 10, 15, 18], en Europe [6, 7, 8, 9, 13, 14], en Asie [11, 17] et en Afrique du Nord [1, 16]. Kendall et al [7] suggèrent un rôle possible des facteurs génétiques dans le développement des maladies auto-immunes et peut-être aussi dans l’association myasthénie et dysthyroïdies. Par ailleurs la fréquence de la maladie semble être plus élevée dans les familles où un cas a déjà été diagnostiqué [16]. Notre patiente est métisse ; sa grand-mère est asiatique vietnamienne et sa sur aînée est porteuse d’un goitre thyroïdien. Il n’a pas été possible de faire un bilan génétique poussé dans cette famille.
Notre observation concerne une jeune femme et est conforme aux données de la littérature qui montrent que l’association des deux affections touche le sujet jeune et préférentiellement le sexe féminin [16] avec un sex-ratio de 1 homme pour 7 femmes dans l’hyperthyroïdie et de 2 hommes pour 3 femmes dans la MG. Dans la plupart des publications l’âge d’apparition est inférieur à 50 ans avec une médiane se situant entre 20 et 40 ans. Cependant Okumura et al [12], Trabelsi et al [16] ont rapporté des cas ayant débuté après l’âge de 50 ans.
Le rôle déclenchant du facteur psychologique retrouvé dans notre observation est reconnu. [16]. Le syndrome myasthénique peut constituer le mode d’entrée dans cette affection ou peut apparaître secondairement parfois au cours du traitement des dysthyroïdies [5,16]. Dans le cas de notre patiente, le syndrome myasthénique marqué par les troubles de la phonation a précédé l’exophtalmie basedowienne. Le diagnostic clinique a été aisément évoqué sur l’association d’une part du syndrome myasthénique responsable des troubles de la déglutition, de la phonation et de la fatigabilité prédominant à la racine des membres et d’autre part des symptômes de la maladie de Basedow à type de palpitations, de dyspnée d’effort, d’hyperémotivité, d’insomnie, d’exophtalmie et d’amaigrissement. Cet amaigrissement lié à un refus d’alimentation du fait des troubles de la déglutition avec risque de fausse route, survient rapidement, est souvent important et contraste avec une polyphagie [4]. Le diagnostic de la myasthénie a été confirmé à l’électromyogramme grâce au classique décrément significatif chez cette patiente qui présentait un tableau clinique et biologique franc d’hyperthyroïdie.
Le taux de TSH, examen de première ligne, est classiquement abaissé comme chez notre patiente, sauf dans certaines étiologies rares [4].Les dosages de T4 libre et de T3 libre sont réalisés en deuxième intention en fonction du résultat de la TSH et du contexte clinique. Leur élévation permet d’apprécier l’importance de la thyrotoxicose [4]. Le titre des auto-anticorps anti-récepteurs de l’acétylcholine (RACh) de notre patiente était élevé mais nettement en deçà du taux rapporté par Okumura et al [12]. Ce taux peut être nul. La fréquente hypertrophie du thymus relevée dans la série de Trabelsi et al [16] n’a pas été retrouvées chez notre patiente La sérologie rétrovirale était négative ce qui éliminait une affection opportuniste du SIDA ou une fatigue résiduelle liée au SIDA.
Les anticholinestérasiques et les antithyroïdiens de synthèse associés à la corticothérapie constituent le traitement de première intention [16]. Ce traitement a été efficace chez notre patiente entraînant une régression des signes.
CONCLUSION
L’association myasthénie et dysthyroïdie mérite d’être connue du milieu médical qui doit la rechercher systématiquement surtout devant un tableau associant une exophtalmie importante, un amaigrissement marqué et une atteinte fluctuante des nerfs crâniens bulbaires. L’électroneuromyographie et le dosage des hormones thyroïdiennes permettent de faire le diagnostic.
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