CLINICAL STUDIES / ETUDES CLINIQUES
NOTRE EXPERIENCE DE LA MYELOPATHIE PAR ARTHROSE CERVICALE A DAKAR (SENEGAL)
OUR EXPERIENCE ON CERVICAL SPONDYLOTIC MYELOPATHY AT DAKAR (SENEGAL)
FONDO A.
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RESUME Introduction Nous rapportons ainsi un travail d’évaluation de nos résultats post opératoires. Patients et Méthode Résultats Conclusion Mots Clés : Arthrose cervicale, Myélopathie, Myélopathie cervicarthrosique, laminectomie, Pronostic, Sénégal. SUMMARY Introduction Patients and Method: Results Conclusion Keywords: Cervical spondylosis, cervical spondylotic myelopathy, surgery, prognosis, Senegal. INTRODUCTION La myélopathie par arthrose cervicale est une pathologie chronique et progressive conséquence de l’altération du rapport contenant/contenu dans le canal médullaire cervical. Sa physiopathologie, les facteurs pronostiques, les indications opératoires et les résultats post opératoires restent des sujets de controverse [2]. Les auteurs proposent dans cette étude d’analyser les résultats et les facteurs pronostiques de l’évolution post opératoire de patients pris en charge chirurgicalement au niveau du département de neurochirurgie du CHU de Dakar. PATIENTS ET METHODE Il s’agit d’une étude prospective et analytique sur une période de trois ans, d’octobre 2007 à octobre 2010 portant sur tous les patients opérés pour myélopathie par arthrose cervicale. 38 patients ont été ainsi colligés. L’âge, la durée d’évolution avant la chirurgie, la sévérité du tableau clinique évaluée par l’échelle de la Japanese Orthopedic Association (JOA), le nombre d’étages concernés par la sténose et l’existence d’un hypersignal médullaire à l’IRM ont été les paramètres retenus comme facteurs pronostiques à évaluer. L’abord chirurgical a été soit une voie postérieure qui consistait à une laminectomie sans instrumentation postérieure, soit une voie antérieure pré sterno-cléido-mastoïdienne à droite (sans greffon ni ostéosynthèse complémentaire). Le pourcentage moyen de la récupération neurologique post opératoire a été évalué par la formule d’HYRAYABASHI à 6 et 12 mois. R = (Score JOA post opératoire – Score JOA pré opératoire) / (17-Score préopératoire) x 100 Le recul moyen de cette étude est de 9,31 mois avec des extrêmes allant de 6 à 22 mois. La collecte et l’analyse statistique des données ont été faites à l’aide des logiciels Epidata et SPSS 16.0. Le test de corrélation de Pearson a été utilisé avec une valeur de p < 0,05 retenue comme statistiquement significative. RESULTATS Nous avons suivi 38 patients avec un âge moyen de 54,97 ans (32 – 80 ans). Le sexe ratio était de 5H/1F. La durée moyenne d’évolution des symptômes avant la chirurgie était de 14,26 mois avec des extrêmes allant de 1 à 60 mois et une médiane de 6 mois. (Fig. 1) Chez 73,68% (28 cas) de nos patients, la symptomatologie avait débuté aux membres inférieurs par des troubles de la marche, allant de la simple claudication médullaire à l’impossibilité de marcher. 44,73% (17 cas) de nos patients avaient des troubles de la gestuelle (difficultés à saisir les objets ou à boutonner ses habits). 14 patients soit 36,14% ont présenté une névralgie cervico-brachiale. A l’examen clinique, près des 3/4 des patients (28 cas) présentaient une tétraparésie voire une paraplégie. 92,11% (35 cas) des patients ont présenté des troubles sensitifs à type d’hypo ou d’hyperesthésie. Un syndrome pyramidal était présent chez 97,37% (37 patients) d’entre eux ; il était associé à des troubles génito-sphinctériens chez 16 patients (42%). Dix (26,32%) patients ont présenté une amyotrophie des espaces interdigitaux. Le score JOA préopératoire moyen de nos patients était de 9,5 /17 avec des extrêmes allant de 4 à 14/17. (Fig. 2) Concernant l’évaluation diagnostique, une radiographie standard du rachis cervical a été réalisée chez 4 patients (10,52%) qui révèlent un changement de la courbure physiologique cervicale (cyphose, rectitude).Tous nos patients ont eu à bénéficier d’une IRM du rachis cervical (Fig. 3). Les lésions compressives étaient antérieures dans 1/3 des cas (12 patients) et mixtes dans près de la moitié (18 patients). 5 patients (13,15%) avaient une sténose unique. Dans 31,6% (12 patients) des cas la sténose a concerné 4 étages. L’étage le plus souvent atteint par la sténose chez nos patients est l’étage C5-C6 (94,73%, 36 cas). Nous n’avions pas procédé à la mensuration du diamètre antéro-postérieur du canal cervical. En outre, la recherche d’une sténose lombaire associée ne fut pas systématique. On note chez 34 patients soit 90% des cas la présence d’un hypersignal médullaire en séquence T2 et seul chez 2 patients il existait une association hyposignal en séquence T1 et hypersignal en T2. Nos indications opératoires sont surtout basées sur l’importance du handicap fonctionnel corrélé au degré de la sténose canalaire. La décompression médullaire par une laminectomie postérieure a été réalisée dans 76,31% des cas (29 patients) ; dans la moitié des cas, la laminectomie a concerné au moins trois niveaux. Nous préservons systématiquement C1 C2 et leurs insertions musculo-aponévrotiques. 9 patients (23,68%) ont bénéficié d’un abord antérieur avec disectomie sans interposition de greffon ; chez 6 patients cette disectomie a concerné l’espace discal C5-C6. La disectomie a concerné 2 niveaux chez 1 patient. Sur le plan évolutif (Tableau I) le score JOA post opératoire moyen de nos patients était de 12,32/17 et de 13,25/17 respectivement à 6 et 12 mois post opératoire. Le score moyen de récupération fonctionnelle selon la formule de HYRAYABASHI était de 39,77% à 6 mois et de 50,46% à 12 mois post opératoire. Un seul de nos patients (0,02%) a connu une aggravation post opératoire, son score JOA ayant régressé de deux points en post opératoire. Chez un de nos patients son statut neurologique est resté stationnaire. 29 patients ont été améliorés (71,05%). Dans 7 cas nous n’avons pu apprécier l’évolution post opératoire, les patients ayant été perdus de vue. Les tests de corrélation que nous avons effectués nous ont conduits à différents résultats. Nous avions ainsi constaté une absence de corrélation entre l’évolution post opératoire et l’âge du patient (p> 0,05). En outre, le degré de récupération à 12 mois post opératoire est fonction de la durée d’évolution de la maladie avant la chirurgie; p < 0,05. De même, il existe une corrélation entre la durée d'évolution de la myélopathie et la sévérité du tableau clinique (score de JOA pré opératoire) ; p = 0,018 < 0,05. Notre étude montre une différence statistiquement significative entre le degré de récupération fonctionnelle post opératoire et la sévérité des lésions médullaires ; (p= 0,000 < 0,05). Par ailleurs, la voie d'abord n'a eu aucune influence sur l'évolution post opératoire ; p> 0,05. De même, il n’existe pas de différence statistiquement significative entre le nombre d’étages sténosés et la récupération neurologique ; p = 0,52 > 0,05. En ce qui concerne la modification du signal médullaire, l’évolution post opératoire de nos patients semble indépendante de la présence ou non d’un hypersignal médullaire. (p = 0,48 > 0,05). L’évolution est restée stationnaire chez un de nos 2 malades qui avaient un hyposignal en T1 et un hypersignal en T2 ; le second a été perdu de vue. DISCUSSION La myélopathie par arthrose cervicale représente une des premières causes du handicap fonctionnel du sujet âgé dans les pays occidentaux [2]. Son diagnostic et son traitement ont été grandement améliorés par les progrès de l’imagerie (IRM) et le développement de nouvelles techniques opératoires visant à rétablir les dimensions du canal rachidien cervical et une récupération fonctionnelle maximale. Sur un plan clinique, plusieurs échelles ont été proposées pour évaluer quantitativement et de façon reproductible le déficit neurologique. L’échelle de la JOA nous a semblé la plus complète en évaluant le déficit sensitif et moteur tant au niveau des membres supérieurs que des membres inférieurs. Elle est également l’échelle utilisée par la quasi-totalité des auteurs [6 ; 22]. La grande majorité de nos patients avait plus de 50 ans avec une moyenne de 54,97 ans, ce qui est conforme aux résultats de la littérature et témoigne du fait qu’il s’agit d’une pathologie du sujet d’âge moyen et du sujet âgé [7 ; 17]. La prédominance masculine est retrouvée dans notre série avec un sex ratio de 5 en faveur des hommes, ce qui est constamment rapportée par la littérature [7 ; 10]. Les patients avec un canal spinal congénitalement rétréci (10-13 millimètres) sont prédisposés à développer une myélopathie cervicarthrosique (26). La durée d’évolution de la maladie dans notre série est très variable d’un patient à un autre avec une moyenne de 14,26 mois. Les extrêmes pourraient s’expliquer par une décompensation brutale de la myélopathie ou le plus souvent, par un retard au diagnostic. Cette variabilité de la durée d’évolution est rapportée par de nombreux auteurs [10]. Une équipe Belge, Milbouw et al [17], rapportait déjà en 1987 une durée d’évolution moyenne de 34 +/- 49 mois avec des extrêmes variant entre 2 mois et 20 ans (240 mois). Sanoussi et al [20], à Niamey, avait retrouvé une moyenne de 2,7 ans (32,4 mois) avec des extrêmes allant de 1 à 10 ans. Les différents tableaux cliniques de notre série sont également rapportés par d’autres auteurs [2 ; 10]. La fréquente astéréognosie retrouvée (55,26% de nos patients explique les troubles de la gestuelle et de la préhension par atteinte de la voie lemniscate. Ces troubles stéréognosiques étaient présents dans 6% des cas dans la série de G. Milbouw [17]. Aux membres supérieurs, les troubles moteurs peuvent être dus soit à une atteinte radiculaire directe soit à une atteinte de la corne antérieure devant faire éliminer une sclérose latérale amyotrophique au début d’où l’intérêt de l’électromyographie . Cette atteinte de la corne antérieure s’accompagne souvent d’une amyotrophie distale (26,32% de nos patients) qui témoigne souvent de l’ancienneté de la maladie. Les troubles de la marche sont quant à eux dus à l’atteinte de la voie pyramidale et peuvent être aussi liés à une ataxie sensorielle (difficultés de coordination et mauvaise perception du sol). Tous nos patients ont pu bénéficier d’une IRM cervicale, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années. Son coût qui se chiffre à 230 reste encore prohibitif au Sénégal, ce qui pourrait être source de retard au diagnostic et à la prise en charge. De fait, aucun de nos patients n’a pu refaire une IRM en post opératoire. Ce qui reste préjudiciable quant à l’appréciation de la qualité de la décompression chirurgicale, de l’évolution du signal médullaire ainsi que les éventuelles modifications de courbure du rachis cervical. Dans notre série, l’étage C5-C6 et l’étage C4-C5 ont été les plus concernés par la sténose. L’étage C5-C6 est l’un des étages les plus mobiles du rachis cervical inférieur et intervient dans les mouvements de flexion – extension et serait donc plus facilement le siège de transformations arthrosiques à l’origine de la compression. B. George et coll. ont retrouvés sensiblement les mêmes résultats avec C4-C5 comme premier étage concerné suivi de C5-C6 [8]. L’électromyographie (EMG) et les potentiels évoqués somesthésiques (PES) peuvent être très utiles au diagnostic topographique. De même, les anomalies des PES des membres supérieurs sont précoces dans les cervicarthroses et peuvent précéder le retentissement médullaire que représente un hypersignal T2 à l’IRM [5]. La majorité des auteurs occidentaux abordent le rachis cervical par voie antérieure [2]. La voie postérieure serait selon ces auteurs sans effet sur les cornes antérieures et les racines déformées par les éléments disco-ostéophytiques [10]. Les travaux de Lapras [15] et de Tourneux [23] démontrent qu’une somatotomie médiane sans greffe, respectant les 2/3 antérieurs des uncus, permet la préservation de la stabilité du rachis. Cette technique permet d’éviter les morbidités liées à la prise de greffon (douleurs post-opératoires, infection du site de prélèvement) et celles liées à l’utilisation de matériel d’ostéosynthèse. Elle réduirait aussi le coût de la prise en charge. Certains auteurs recommandent la mise en place d’une autogreffe iliaque tri corticale, d’une cage inter somatique ou d’une prothèse discale (arthroplastie) pour réduire les risques de cyphose post opératoire ou de pincement discal à l’origine d’une réduction de l’ouverture du foramen de conjugaison [3 ; 23]. La majorité de nos patients a été opérée par voie postérieure à cause du caractère pluri étagé de la sténose. La technique utilisée a été dans tous les cas la « traditionnelle laminectomie » sur deux ou plusieurs étages avec respect des articulations inter apophysaires postérieures. L’abord postérieur est recommandé par de nombreux auteurs pour des sténoses multi-étagées avec une compression provenant essentiellement d’éléments postérieurs à la moelle (hypertrophie ligamentaire et des massifs articulaires) et avec une symptomatologie s’exprimant essentiellement aux membres inférieurs [4 ; 10 ; 19]. Notre étude nous a permis de déterminer un profil évolutif post opératoire de nos patients opérés pour myélopathie par arthrose cervicale. Nous n’avons retrouvé aucune corrélation entre l’âge des patients et l’évolution post opératoire. Il en est de même pour les séries de Bazin [1], Kadoya [13] et Yamazaki et al [25] qui estiment que l’âge n’est pas un facteur pronostique déterminant. Une équipe chinoise [12] a retrouvée sur une série de 76 patients, un lien entre l’âge des patients et leur score JOA post opératoire. Sanoussi [20] rapporte dans son étude que l’âge jeune est un facteur de bon pronostic. Pour beaucoup d’auteurs le délai d’évolution préjudiciable à une bonne récupération serait un délai supérieur à un an avant la chirurgie. Selon eux, la compression médullaire prolongée produirait des lésions médullaires probablement irréversibles [10 ; 11]. Déjà en 1999, Gueye [9] préconisait la sanction chirurgicale avant le sixième mois d’évolution. Handa [10] et Kazuhiro [14] militent également pour un acte chirurgical aussi précoce que possible, avant l’installation de dommages médullaires irréversibles. Nous avons trouvé dans notre série une corrélation (p = 0,018 < 0,05) entre la durée d'évolution de la maladie et la sévérité des lésions médullaires qui est elle même corrélée au degré de récupération neurologique (p = 0,000). Nos résultats sont similaires à ceux de Huilin [12], Milbow [17] et Sanoussi [20]. Nous n'avons pas retrouvé comme Pascal-Mousselard [18] un lien entre la voie d'abord et le degré de récupération neurologique. Certains chirurgiens démontrent le contraire dans leur série [10]. Indépendamment de la voie d'abord, nous pensons que c'est surtout la qualité de la décompression qui entre en jeu. L'impact de la modification du signal médullaire sur la récupération neurologique post opératoire demeure une controverse entre les différents auteurs. Pour certains [16], un hypersignal médullaire pré opératoire serait synonyme de mauvais pronostic. Pour d'autres, il n'influencerait pas le degré de récupération post opératoire [14].Dans notre étude, nous n'avons pas trouvé de lien entre la présence ou non d'un hypersignal médullaire, quelle que soit son intensité, et le pourcentage de récupération des troubles neurologiques. Néanmoins, les taux de récupération neurologique les plus importants se retrouvaient chez les patients sans modification du signal médullaire. Brunon et al [2], dans son approche sur les myélopathies cervicales rapporte que l'hypersignal centromédullaire en T2 n'a pas de signification pronostique. Wada et al [24], au 22ème congrès annuel de la «Cervical Spine Research Society» à Baltimore (USA) en novembre 1994, rapporte au terme de son étude que l'hypersignal T2 n'était pas corrélé à la sévérité du tableau clinique ni à l'évolution post opératoire. Avec le développement de l'IRM, plusieurs études ont mis en exergue le lien entre les modifications pré opératoires du signal centromédullaire en séquence T1 et T2 et le résultat post opératoire [16 ; 21]. Pour ces différents auteurs, la présence d'un hyposignal T1 serait un facteur de mauvais pronostic ; cet hyposignal T1 persisterait en post opératoire. Par contre, la régression d'un hypersignal T2 pré opératoire après chirurgie serait corrélée à un meilleur résultat post opératoire. Ainsi, les patients sans aucune modification du signal médullaire auraient les meilleures chances de récupération neurologique. Les patients avec seulement un hypersignal T2 aurait des chances de récupération moyennes à bonnes et les patients avec à la fois un hyposignal T1 et un hypersignal T2 ont le potentiel de récupération le plus bas. Au Sénégal, le coût élevé de l'IRM constitue un facteur limitant pour un contrôle post opératoire. CONCLUSION Au terme de notre étude sur la myélopathie par arthrose cervicale au Sénégal, nous pouvons dire qu’il s’agit d’une pathologie dont la fréquence est en constante augmentation car mieux diagnostiquée avec l’avènement de l’IRM. Le retard diagnostic et donc de la prise en charge obère les possibilités de récupération neurologique. Le traitement chirurgical proposé aux patients peut leur apporter une réelle amélioration du tableau clinique. TABLEAU I : Répartition des patients selon le sexe
TABLEAU II : Répartition des patients selon l’âge
TABLEAU III : Répartition des patients selon les principaux signes cliniques
Figure 1 : Répartition selon la durée d’évolution Figure 2 : Distribution du score de JOA pré opératoire de nos patients Figure 3 : IRM rachis cervical A : coupe axiale, séquence T2. On note l’aplatissement de la moelle B : coupe sagittale, séquence T2 : aspect saucissonné de la moelle cervicale en C3C4C5 par disparition des espaces périmédulaires du fait d’une double contrainte : bourrelet disco ostéophytique en avant et hypertrophie du ligament jaune en arrière. Présence d’un hypersignal médullaire. REFERENCES
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