NEUROEPIDEMIOLOGY / NEUROEPIDEMIOLOGIE
PRÉVALENCE DE LA DÉMENCE DANS UNE POPULATION DE PERSONNES ÂGÉES SÉNÉGALAISES
PREVALENCE OF DEMENTIA IN A SENEGALESE ELDERLY POPULATION
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RESUME Description Méthodes Résultat Conclusion Mots-clés. Démence. Prévalence. Personnes âgées. Sénégal. SUMMARY Background Objective Methodology Results Conclusion Keywords: Dementia. Prevalence. Elderly person. Senegal. INTRODUCTION Dans le monde, on estime qu’en 2000, le nombre de personnes démentes était de 25,5 millions représentant 0,4 % de la population mondiale. Le nombre de déments va atteindre 63 millions en 2030 et 114 millions en 2050. Environ 52% vivent dans les pays sous-développés et l’augmentation du nombre de cas de démence y sera plus importante passant de 13,3 millions en 2000 à 84 millions en 2050 [38]. La démence est devenue un véritable problème de santé publique. Sa prévalence augmente considérablement avec l’âge et l’instruction [4,8,13]. Elle a un impact sur le système social, l’économie, la santé. Dans le monde occidental, elle est la cause la plus fréquente d’institutionnalisation des personnes âgées [3], avec un taux élevé de dépendance [1] et de mortalité [2]. Son impact sur les aidants est aussi important [24 ]. Le coût économique de prise en charge de la démence est élevé [25,36]. La démence augmente l’utilisation des services de santé par les personnes âgées [36 ]. Bien que de nombreuses études aient été menées dans les pays développés pour mieux appréhender l’épidémiologie de cette affection, peu de recherches l’ont été en Afrique. Au Nigéria, une prévalence de 2,29% a été retrouvée auprès d’une population de personnes âgées de 65 ans et plus [17]. En Egypte, elle est de 4,5% dans une population de 60 ans et plus [14]. La population sénégalaise est estimée à 9 526 648 habitants en 2000 et elle atteindra 13 millions en 2015. Environ 8% de la population est âgé de 55 ans et plus et ce taux sera de 11% en 2015. Le corollaire sera une augmentation du nombre de personnes atteintes de démence. A cet effet, une étude a été réalisée au Sénégal pour estimer la prévalence de la démence dans la population de personnes âgées utilisant le Centre Médico-social et Universitaire (CMSU) de l’Institut de Prévoyance Retraite du Sénégal (IPRES) pour des soins. METHODOLOGIE Site de l’étude. Le Centre Médico-social et Universitaire de l’IPRES L’Institution de Prévoyance Retraites du Sénégal (IPRES) gère le régime national obligatoire d’assurance vieillesse intégré au régime de sécurité sociale. Elle assure pour les titulaires de pension et leurs membres de famille, la prise en charge des frais hospitaliers et des soins de base dans ses structures sanitaires. Le Centre Médico-Social et Universitaire (CMSU) est un centre de premiers soins assurant des consultations de gériatrie, médecine générale, gynéco-obstétrique et planification familiale, pédiatrie, ophtalmologie, odontostomatologie, rééducation fonctionnelle, urologie entre autres. Y sont associés des soins infirmiers et des examens de laboratoire (biologie et biochimie). Ces activités sont gratuites pour la personne retraitée de l’IPRES et sa famille. Les médicaments sont aussi dispensés gratuitement si disponibles au niveau de la pharmacie. Le personnel est composé de 15 agents permanents avec en plus des médecins vacataires pour améliorer la qualité des soins. Environ 6000 patients sont consultés chaque année au niveau du CMSU. Population à l’étude Elle était composée de personnes âgées sénégalaises 55 ans et plus qui venaient consulter au CMSU de l’IPRES pour un problème de santé et donc bénéficiaires des services offerts au niveau de cette structure de santé. Ont été exclues toutes les personnes âgées de moins de 55 ans, et celles présentant une maladie empêchant l’administration de l’instrument de collecte de données: coma, délire, aphasie, psychose, baisse importante de l’acuité visuelle et auditive. Type d’étude Cette étude était de type transversal avec une collecte de données en deux phases. Dans la première phase (du 01 mars 2004 au 31 décembre 2005), 872 personnes âgées de 55 ans et plus ont été interviewées. Dans la deuxième phase, celles suspectes de troubles cognitifs associées à un nombre égal de sujets normaux ont été référés pour un examen clinique complet et une évaluation neuropsychologique. Considérations éthiques Cette recherche a reçu l’approbation du comité d’éthique de l’Université de Montréal (Québec, Canada) et de celui du Ministère de la Santé et de la Prévention Médicale du Sénégal avant son démarrage. Un consentement éclairé avec la personne âgée ou son accompagnant était obtenu. Collecte des données Le questionnaire « Vieillir au Sénégal C’est un instrument a été utilisé lors de la première phase pour l’interview des personnes âgées qui ont accepté de participer à l’étude. Il a permis de recueillir des informations en rapport avec leurs caractéristiques sociodémographiques, leurs antécédents médicaux, une histoire familiale de démence, leur mode de vie (habitudes toxiques, activités physiques), leur réseau social complétée par une évaluation de la capacité fonctionnelle avec l’échelle adaptée de Fillenbaum [15,23] et une évaluation neuropsychologique avec le Test adapté et modifié de Hodkinson [19,20] et le Test du Sénégal [34]. Le guide d’examen clinique Il a été utilisé lors de la deuxième phase de l’étude et comprend 5 parties : 1) une revue de l’histoire de la maladie du patient ; 2) une revue des antécédents médico-chirurgicaux du patient, une éventuelle exposition à des produits toxiques, une histoire familiale de démence; 3) une évaluation des capacités fonctionnelles du patient [15,23]; 4) une évaluation neuropsychologique des fonctions cognitives dont la mémoire, le langage, la praxie, l’attention avec le test de l’empan, le calcul mental, l’organisation visuo-spatiale, le raisonnement avec les tests de similarité et différence, le jugement et la version nigériane adaptée du Mini Mental State Examination [6,16]; 5) un résumé de l’examen général et physique du patient incluant tous les organes; 6) l’échelle de dépression avec l’échelle “Center for Epidemiological Study of Depression (CES-D) [28]”. Cet instrument était utilisé par le chercheur principal (KT) Déroulement de la recherche Tout patient qui a accepté de participer à cette étude a été d’abord interviewé avec le questionnaire « Vieillir au Sénégal » par un des 4 étudiants en médecine qui ont été formés au préalable pour cette tâche. Ainsi, tout patient ayant obtenu un score inférieur ou égal à 5 au Test de Hodkinson lors de l’interview était référé au chercheur principal pour un examen clinique et une évaluation neuropsychologique plus poussée avec le guide d’examen clinique. Un sujet normal apparié par le sexe était aussi référé pour comparaison. L’examen clinique était toujours précédé d’un entretien avec l’accompagnant de la personne âgée pour s’enquérir de l’histoire de la maladie, des antécédents et de l’évaluation de ses capacités fonctionnelles. Puis, nous procédions à l’examen physique complet du patient et de son évaluation neuropsychologique. En cas de suspicion de dépression, une auto-évaluation avec le CES-D était appliquée. A la fin de l’examen, l’accompagnant et le patient étaient informés des résultats de l’examen clinique. Si nécessaire, des examens complémentaires (radiographie [standard, CT scanner du cerveau], biologie, biochimie) étaient demandés et un traitement d’éventuelles affections intercurrentes institué. Le patient était suivi après par le principal investigateur (KT). La figure 1 décrit le processus de la recherche. Les variables à l’étude Le diagnostic de démence a été défini selon les critères de DSM-IVR [5]. Nous avons aussi étudié d’autres variables en rapport avec:
– le réseau social: vit seul ou en famille (oui, non), avoir des enfants (oui, non), des frères/surs (oui, non), ami(e)s (oui, non), fréquence hebdomadaire des contacts avec les enfants (jamais, moins d’une fois par semaine, plus d’une fois par semaine), frères/surs (jamais, moins d’une fois par semaine, plus d’une fois par semaine), ami(e)s (jamais, moins d’une fois par semaine, plus d’une fois par semaine), être membre d’association communautaire (oui, non), être membre d’association religieuse (oui, non). Nous avons créée deux index: la diversité des liens avec les proches et la fréquence des contacts hebdomadaires avec les proches. La diversité des liens avec les proches est un index qui regroupe 4 items avec un score de 0 à 1 : « statut matrimonial (1= marié, 0= non-marié), avoir des enfants (1=oui, 0=non), avoir des frères/surs (1=oui, 0=non), avoir des ami(e)s (1=oui, 0=non) ». Pour les analyses statistiques, le score ainsi obtenu a permis de catégoriser la diversité des liens avec les proches en 3 modalités : « 0-2 liens= faible, 3 liens= moyen, 4 liens= élevé ». Analyse statistique Les données recueillies ont été analysées à l’aide du logiciel SPSS- version 13.0 pour Windows. Des analyses univariées pour le calcul des fréquences, des moyennes, des écarts-types ont été effectuées. Puis, par des analyses bivariées, nous avons comparé la prévalence de la démence en fonction des caractéristiques sociodémographiques. Le test du χ2 a été utilisé et les résultats exprimés avec un risque d’erreur de 5%. RESULTATS Huit cent soixante douze patients âgés de 55 à 90 ans avec une moyenne de 67,2 ans (± 7,5) ont été reçues et interviewés. Le tableau I décrit les caractéristiques sociodémographiques, le mode de vie et le réseau social de la population à l’étude. Les patients étaient du sexe masculin, marié(e)s et non-éduqués. La consommation de tabac et d’alcool était faible. La marche était pratiquée par 95,5% de la population et 84,6% ne faisaient aucune autre activité physique. Le réseau social était caractérisé par une intense diversité des liens avec les proches et une fréquence élevée de contacts hebdomadaires avec les proches. Cependant, seuls 13,5% et 39,2% des patients étaient membre d’association communautaire et religieuse respectivement (Tableau II). L’hypertension artérielle, les affections rhumatismales, les troubles digestifs, les affections respiratoires et génito-urinaires étaient les principaux antécédents médicaux rapportés par la population de patients (Tableau III). DISCUSSIONS ET COMMENTAIRES Cette présente étude avait pour objectif général de déterminer la prévalence de la démence dans une population de personnes âgées sénégalaises fréquentant le Centre-médico social et Universitaire de l’IPRES. La prévalence de la démence estimée à 6,6% variait de manière statistiquement significative avec l’âge et l’instruction. Dans notre population à l’étude, la prévalence de la démence augmentait progressivement et de manière significative avec l’âge. Ce résultat vient confirmer ce qui a été observé lors d’études antérieures menées en milieu hospitalier et aussi populationnel dans le monde. Ainsi à Rotterdam (Hollande), Breteler et al. [7] ont après avoir réalisé une étude auprès de 7528 personnes âgées de 55 ans et plus, trouvé des prévalences de 0,4% et 43,2 % respectivement dans les tranches d’âge de 54-59 ans et 85 ans et plus. A Indianapolis-USA, Unverzagt et al. [35] ont trouvé des prévalences de 19,2%, 27,6% et 38,0% auprès d’une population de 2212 personnes âgées de 65 ans et plus respectivement dans les tranches d’âge de 65-74 ans ; 75- 84 ans et 85 ans et plus. En Italie, Ravaglia et al. [29] ont trouvé des prévalences de 0,7%, 1,8%, 2,4%, 7,8%, 23,4% et 66,7% auprès d’une population de 1016 personnes âgées de 65ans et plus respectivement dans les tranches d’âge de 65-69 ans, 70-74ans, 75-79ans, 80-84ans, 85-89ans et 90ans et plus. A Bombay (Inde), Vas et al. [37] ont trouvé auprès d’une population de 24488 personnes âgées de 55ans et plus des prévalences de 0,042%, 0,28%, 0,80%, 2,42%, 4,99%, 5,06% et 6,85% respectivement dans les tranches d’âge de 55-59ans, 60-64ans, 65-69ans, 70-74ans, 75-79ans, 80-84ans et 85ans et plus. Au Nigeria, Hendrie et al. [17] ont réalisé une étude comparative entre 2494 Yorubas vivant à Ibadan-Nigeria et 2212 Afro-Américains vivant à Indianapolis-USA, ayant la même origine ethnique. Ces populations étaient toutes âgées de 65 ans et plus. Ainsi, à Ibadan (Nigeria), elles étaient de 0,86%, 2,72% et 9,59% pour les groupes d’âge respectifs de 65-74 ans, 75-84 ans et 85 ans et plus. A Indianapolis (USA), elles étaient respectivement de 1,83%, 6,73% et 17,07% au niveau de la communauté. L’augmentation significative de la prévalence de la démence avec l’âge pourrait s’expliquer par le risque élevé d’apparition de maladies cardiovasculaires chez la personne âgée, facteurs de risques de démence [9,33]. Par ailleurs certaines situations rencontrées chez la personne âgée peuvent être à l’origine de facteurs de risque cumulatifs de démence. On peut citer: le veuvage, la retraite, l’isolement, la solitude. Ces dernières peuvent engendrer le stress, la sédentarité, le faible réseau social, le bas niveau économique qui constituent des facteurs de risques de démence. Dans notre population à l’étude, la prévalence de la démence était beaucoup plus élevée chez les patients avec un faible niveau d’instruction comparé à ceux avec un niveau élevé. Ce résultat a été retrouvé lors d’études antérieures réalisées dans le monde. En Italie, Ravaglia et al. [29] ont trouvé auprès d’une population de 1016 personnes âgées de 65 à 97 ans et plus réparties selon leur niveau d’instruction des prévalences de 29,3%, 9,7%, 2,1% respectivement chez les populations ayant fait 0 à 1 an d’étude, 2 à 3 ans d’étude et plus de 3 ans d’étude. Prencipe et al.[27], lors d’une étude transversale menée dans trois villages d’Italie du centre, ont étudié la prévalence de la démence dans une population de 968 personnes âgées de plus de 64 ans habitant dans la zone. La prévalence de la démence était de 8,0%, plus élevée chez les sujets avec moins de 3 ans de scolarité (14,6%) comparée à ceux avec plus de 3ans de scolarité (5,9%). Le faible niveau d’instruction augmentait le risque de démence après le contrôle de l’effet de l’âge et du sexe (OR=2,0, intervalle de confiance à 95% de 1,2-3,3). Au Brésil, l’étude menée par Herrera et al.[18] auprès de 1656 personnes âgées de 65 ans et plus, ont trouvé des prévalences de 12,2%, 4,4%, 5,0% et 3,5% respectivement chez les populations non instruites, chez celles ayant fait 1 à 3 ans d’étude, 4 à 7 ans d’étude, 8 ans d’étude et plus. Aux Pays Bas, Schmand et al.[30] ont mené une étude longitudinale à Amsterdam portant sur une population de 4051 personnes âgées de 65 à 85ans suivies pendant 4 ans afin d’étudier le rôle de l’instruction sur la détérioration cognitive. Ainsi des prévalences de 15,8%, 8,3%, 4,0% et 1,9% ont été trouvées respectivement chez celles qui ont le niveau primaire incomplet, le primaire complété, le secondaire et le supérieur. Deux hypothèses sous-tendent cette association entre la démence et le niveau d’instruction : celle de la capacité cérébrale de réserve et celle de la « Brain- battering ». En effet, une étude réalisée auprès d’une population de personnes âgées exemptes de déficit cognitif a montré des modifications anatomiques cérébrales différentes selon le niveau d’instruction, modifications en rapport avec le développement de synapses et une augmentation de volume du cerveau avec comme conséquence une augmentation de la capacité de réserve du cerveau (par un mécanisme de neuroplasticité) protégeant ainsi contre la démence [21,31]. Pour Del Ser et al. [10], l’instruction agit par l’intermédiaire de l’amélioration des conditions socioéconomiques assurant ainsi une protection accrue contre les facteurs de risque de survenue de démence chez la personne âgée, hypothèse confirmée par Stewart et al. [32] montrant une association entre le niveau d’instruction et l’existence de facteurs de risque vasculaires de démence. Néanmoins, quel que soit le mode d’action de l’instruction, elle joue un rôle très important dans la survenue de la démence chez la personne âgée. Les résultats obtenus viennent confirmer que la prévalence de la démence varie selon l’âge et l’instruction dans la population de personnes âgées. Cependant, ce travail comporte des limites en rapport avec la temporalité des résultats observés inhérents à toutes les études transversales mais aussi la validité externe. En effet, ces résultats obtenus ne peuvent être généralisés du fait qu’ils ne concernent qu’une partie de la population non représentative de toute la communauté de personnes âgées sénégalaises. Cette population a l’avantage de bénéficier de services de soins gratuits au niveau d’une structure de santé qui dispose d’un personnel de qualité et de médications gratuites. Néanmoins, les résultats nous donnent un aperçu sur la fréquence de cette affection dans une population de personnes âgées sénégalaises. Tableau I. Caractéristiques sociodémographiques de la population à l’étude (n=872).
Tableau II. Mode de vie et réseau social de la population à l’étude
Tableau III. Antécédents identifiés dans la population à l’étude
Tableau IV. Prévalence de la démence selon les caractéristiques sociodémographiques de la population à l’étude
* Différence statistiquement significative REFERENCES
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