AJNS
NEUROEPIDEMIOLOGY
 
PREVALENCE DE LA MIGRAINE A MADAGASCAR : RESULTATS D’UNE ENQUETE MENEE DANS UNE POPULATION GENERALE

MIGRAINE PREVALENCE IN MALAGASY: RESULTS OF A GENERAL POPULATION SURVEY


  1. Service de Neurologie, Hôpital Raseta, Befelatanana, Antananarivo – Madagascar

E-Mail Contact - ANDRIANTSEHENO L. Marcellin : marcellinandrian@yahoo.fr


RESUME

Objectif

Les données épidémiologiques sur la migraine, chez les Malgaches, sont rares ou discordantes. D’où l’intérêt de cette enquête de prévalence en population générale.

Méthodes

L’étude a été menée dans le « Grand Antananarivo », du 1er Juin 2001 au 31 Décembre 2001. Ont été incluses, les personnes des deux sexes, âgées de plus de 14 ans, ayant présenté au cours des 12 mois précédant l’enquête, des céphalées récidivantes.

Résultats

Sur les 496 personnes interviewées, 96 ont souffert de migraine, donnant le taux de prévalence brut de 19 % (96/496) et spécifique de 26,8 % (76/284) chez la femme versus 9,4 % (20/212) chez l’homme. Seuls 35 % des malades ont consulté un médecin, et 28% reçu des soins appropriés. La population migraineuse était plus jeune (p <0,01). Les statuts de femme (p <0,0001) ou de divorcé (p <0.05), le style de vie urbain (p <0,005), mais pas le bas niveau d'instruction (p >0,1), ou la grande taille familiale (p >0,1) étaient associées à la maladie.

Résultat

Du fait de sa fréquence élevée, la migraine pose à Madagascar, un problème de santé publique.


SUMMARY

Background

Epidemiological data on migraine are rare or discrepant in the malagasy medical literature.

Objective

This general population survey, carried out in the “Grand Antananarivo” from June 1st 2001 to December 31st 2001, is intended to supply this deficiency.

Methods

People of both sexes more than 14 years old, having suffered from recurrent headaches during the 12 months preceding the study, were included.

Results

Ninety six (96) out of the 496 persons submitted to the interview have suffered from migraine, giving the crude prevalence rate of 19 %, and specific rates of 26.8 % for women versus 9.4 % for men. Only 35 % of sufferers have consulted a doctor, and no more than 28 % received an appropriate treatment.
Migraineurs were younger (p <0.01). The disease was associated with female status (p <0.0001), divorce (p <0.05) and urban lifestyle (p <0.005), but neither with lower instruction (p >0.1), nor with the big family size (p >0.1).

Conclusion

Migraine set a public health problem because of its high prevalence.


Mots clés : Afrique, Epidémiologie, Migraine, Madagascar, Africa, Epidemiology, Migraine, Malagasy

INTRODUCTION

Douze à quinze pour cent de la population occidentale souffrent de migraine (5,7,9). L’Africain noir et l’Asiatique, des deux sexes, seraient moins touchés par la maladie (12,19). Les malgaches, qui partagent les deux origines raciales, devraient être aussi épargnés.
Or, les données épidémiologiques disponibles sont discordantes : une étude faite dans un centre de soins primaires d’Antananarivo, la capitale de Madagascar, rapporte une faible prévalence (16), alors que la migraine représente le deuxième motif de consultation neurologique à Mahajanga, une ville côtière (1). D’où la décision de mener cette enquête pour décrire la situation, en population générale.

POPULATION D’ETUDE – METHODES

L’enquête a été menée sur la population du « Grand Antananarivo » (14) , qui comprend le Renivohitra (capitale), de type urbain et les fivondronana (préfectures) d’Ambohidratrimo, d’Antananarivo avaradrano et atsimondrano, de type rural.
Ces fivondronana sont subdivisés en firaisana (communes rurales ou arrondissements, pour la capitale) eux mêmes formés de fokontany (quartiers), .
Les échantillons ont été tirés au hasard parmi les personnes des deux sexes, > 14 ans résidentes des habitats privés issus des fokontany.
Trois arrondissements la capitale sur les six, et un parmi les 3 fivondronana périphériques, ont été tirés au hasard .
Au cours de l’étape suivante, on procédait au tirage, également aléatoire du ¼ des communes rurales constitutives de ce fivondronana .
On recensait ensuite tous les fokontany des arrondissements urbains et des communes rurales, et on y repérait, avec un procédé également aléatoire, les habitats privés où l’on désirait prendre la personne à enquêter.
La taille globale de l’échantillon a été calculée, en tenant compte de la prévalence attendue de la maladie (15%), de la précision souhaitée (3%) et du risque alpha (0,05).
Le nombre de personnes tirées par firaisana était fonction du nombre de ses habitants.
L’enquête, qui s’est déroulée du 1erJuin 2001 au 31 Décembre 2001, a été menée par deux étudiants en médecine en fin de cursus, préalablement formés à l’enquête porte à porte (18).
Le questionnaire comportait des renseignements sur l’état civil de la personne interrogée (sexe, âge, niveau d’instruction, statut matrimonial, taille de sa famille, hérédité céphalalgique, style de vie urbain ou rural) et sur les caractéristiques de la céphalée.
Ont été inclus, comme cas de migraine, les personnes ayant souffert de céphalées récidivantes, au cours des douze mois précédant l’enquête.
Une fois dépistés, ces cas étaient authentifiés par un neurologue entraîné dans le domaine de la migrainologie, et utilisant les critères de l’International Headache Society (4).
Les différentes comparaisons ont été faites avec le test du X².

RESULTATS

Les 1er, 2ème et 6èmearrondissements de la capitale (type urbain) et 6 des 24 firaisana du fivondronana d’Antananarivo atsimondrano (représentant du pattern rural), ont été tirés au hasard
L’effectif total de l’échantillon était fixé à 500 personnes.
Le nombre de dossiers complet, à la fin de l’enquête était de 496.
Cent quarante trois (143) cas de migraine ont été dépistés dont 96 authentifiés par le neurologue, ce qui donne les taux de prévalence brut de 19 % (96/496) et spécifique de 26,8 % (76/284) pour les femmes vs 9,4 % (20/212) pour les hommes.
Les personnes migraineuses étaient plus jeunes (29 ±12 ans) que les non migraineuses (33 ±14,6 ans) [p <0,01] mais, à part le sexe (surreprésentativité féminine), le style de vie (atteinte plus prononcée de la population urbaine) et le statut matrimonial (taux plus élevé chez les personnes divorcées), les autres caractéristiques socio-démographiques (niveau d'instruction, grande taille familiale) n'étaient pas discriminantes ( tableau 1). Parmi les personnes souffrantes, 35 % seulement (34/96) ont consulté un médecin et 28 % seulement ont pu suivre régulièrement le traitement préventif. Les caractéristiques de la maladie sont rapportées sur le tableau 2. DISCUSSION

Bien que notre échantillon ne soit pas représentatif de l’ensemble des malgaches, la prévalence de la migraine, dans notre population, paraît plus élevée que celles, rapportées chez le Caucasien [x 1,4] (5,7,9,11), chez le Noir africain [x 3,5] (12) et chez le Chinois [x 27,5] (19).
Certaines enquêtes occidentales ont toutefois rapporté des taux aussi élevés (13,17).
Dans notre étude, il s’agit de migraine « active », celle qui nécessite vraiment une intervention médicale (8 ).
Du fait du double lien qu’elles entretiennent (3), la prévalence élevée de la migraine concorde avec celle de la dépression, retrouvée dans une étude récente (2).
Bien que le handicap provoqué par la maladie soit reconnu (17,18), le taux de recours médical est faible (35 %), et peu de patients reçoivent une prise en charge correcte (28%).
Ce seraient plutôt l’insuffisance d’informations et l’ancrage populaire aux pratiques traditionnelles qui favorisent la sous médicalisation des patients, mais non leur niveau d’instruction global (similaire à celui des non migraineux) [tableau 1].
De ce fait, les centres de soins primaires sont peu fréquentés (étude de Tehindrazanarivelo & coll)[16], tandis que les cas sévères ou survenant chez les per- sonnes suffisamment occidentalisées, sont concentrés dans les services spécialisés (1).
Les médecins généralistes eux mêmes, qui interviennent en première ligne, sont peu familiarisés avec la maladie, d’où les errances diagnostiques, déroutantes pour les malades: carences calcique ou magnésienne, troubles oculaires, hypothétiques sinusites (1).
Globalement, les caractéristiques de la maladie et des malades (prédominance féminine, âge plus jeune par rapport aux non migraineux, hérédité) sont superposables à celles rapportées dans la littérature (tableaux 1 et 2).
Les effets défavorables de certains styles de vie (stress urbain), des déboires matrimoniaux (effet négatif du divorce) nécessitent une confirmation par des études plus appropriées.
Contrairement à ce qui se passe chez leurs lointains ancêtres (l’africain et l’asiatique), les malgaches semblent avoir une propension à faire la migraine.
Les facteurs génétiques, à eux seuls, n’arrivent pas à expliquer cette différence : la culture et l’environnement jouent certainement un rôle qu’il faudrait identifier par des études plus approfondies.

CONCLUSION

Bien que non représentatifs de l’ensemble des malgaches, les résultats de cette enquête
confirment la forte prévalence de la migraine, déjà évoqués par une étude clinique antérieure (1).
Cette maladie pose, par conséquent, un problème de santé publique qui devient une priorité, si l’on tient compte du nombre de malades échappant au circuit thérapeutique, alors que l’on dispose de médicaments efficaces et de coût accessible. (6,15).
L’idéal serait d’entreprendre des études plus exhaustives et de plus grande envergure, dans d’autres régions de l’île, mais leur organisation, coûteuse, s’avère impossible dans le contexte économique actuel.
Il serait plus judicieux de mettre d’emblée en place un programme national de lutte, intégrant la sensibilisation et la formation des professionnels de santé, l’information du public et l’approvisionnement du marché en médicaments efficaces (génériques).
L’Organisation Mondiale de la Santé, qui a classé la migraine parmi les quatre affections les plus handicapantes [ avec la psychose, la tétraplégie et la démence] (10), et les Sociétés savantes peuvent fournir l’appui technique et scientifique, voire financier pour accompagner un tel programme.

TABLE 1 – Caractéristiques des patients migraineux.

Items migraineux non migraineux
Age moyen * 29 ±12 ans 33 ±14.6 ans
Mode 19 ans 16 ans
Ages extrêmes 16 à 67 ans 16 à 81 ans
Sex ratio ** hommes/femmes = 0.21 hommes/femmes = 0.97

* Les migraineux sont plus jeunes que les non migraineux (p <0,01)
**La migraine était plus fréquente chez la femme (p <0,0001)
Hérédité: 1/3 des migraineux (32/96) avaient une hérédité familiale directe pour la maladie

Style de vie: la migraine était plus fréquente en milieu urbain (p <0,005)
Situation matrimoniale: il y avait plus de divorcés dans la population migraineuse (p <0,05)
Pas de différence entre migraineux et les non migraineux pour les items suivants : bas niveau d’instruction (p >0,1), grande famille (>6 personnes) [p >0,1].

TABLE 2 – Caractéristiques des accès migraineux.

Caractéristiques Fréquence et pourcentage
unilatéralité de la douleur 61/96 (63.5 %)
pulsatilité 86/96 (89.5 %)
nausées ou de vomissements 86/96 (89.5 %)
sonophotophobie 82/96 (85 %)

REFERENCES

  1. ANDRIANTSEHENO LM, ANDRIANASY TF. Hospital based study on neurological disorders in Madagascar. Data from the north western part of the island. Afr J Neuro Sci 1997; 16(2):22-27
  2. ANDRIANTSEHENO M. Santé mentale: images et réalités. La santé mentale à Madagascar. L’ Information psychiatrique 2003;79 (10):913-919
  3. BRESLAU N, DAVIS GC, SCHULTZ LR, PETERSON EL. JOINT 1994 WOLFF Award Presentation. Migraine and major depression: a longitudinal study. Headache 1994;34(7):387-393
  4. Headache classification committee of the International headache Society. Classification and diagnostic criteria for headache disorders, cranial neuralgias and facial pain. Cephalalgia 1988; 8(suppl7):1-96
  5. HENRY P, MICHEL P, BROCHET B, et al. A nationwide survey of migraine in France: prevalence and clinical features in adult. Cephalalgia 1992;12:229-237
  6. HU XH, MARKSON LE, LIPTON RB, STEWARD WF, BERGER ML. Burden of migraine in the United States: disability and economic costs. Arch Intern Med 1999:159(8):813-818
  7. LAINEZ MJA, VIOQUE J, HERNANDEZ-AGUADO I, TITUS F. Prevalence of migraine in Spain. An assessment of the questionnaire validity by clinical interview. In: Jes Olesen, ed. Headache classification and epidemiology. New York, Raven Press Ltd; 1994:221-225
  8. LINET MS, STEWART WF, CELENTANO DD, ZIEGLER D, SPRECHER M. An epidemiologic study of headache among adolescents and young adults. JAMA 1989;261:2211-2216
  9. LIPTON RB, STEWART WF, DIAMOND S, DIAMOND M, REED ML. Prevalence and burden of migraine in the United states: results from the American migraine study II. Headache 2001;41:646-657
  10. MENKEN M, MUSTAT TL. The global burden of disease study: implications for neurology. Arch Neurol 2000;57(3):418-420.
  11. National Institute of neurological disorders and stroke: 21st century prevention and management of migraine headaches. Clinician 2001;19(11):1-26
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