AJNS
ORIGINAL PAPERS / ARTICLES ORIGINAUX
 
PROBLEMES LIES A LA PRISE EN CHARGE REEDUCATIVE DES HEMIPLEGIES VASCULAIRES A ABIDJAN (COTE D’IVOIRE)

ANALYSIS OF PROBLEMS ENCOUNTERED DURING THE REHABILITATION AND MANAGEMENT OF HEMIPLEGIC PATIENTS OF VASCULAR ORIGIN IN ABIDJAN (IVORY COAST)


  1. Service de Neurologie, CHU de Cocody, BP V 13 Abidjan 01, Côte d’Ivoire.
  2. Service de Médecine Physique et de Réadaptation, CHU de Yopougon, 21 BP 632 Abidjan 21 Côte d’Ivoire

E-Mail Contact - ASSI Berthe : berthassi2000@gmail.com


RESUME

Introduction

Les accidents vasculaires cérébraux sont responsables de conséquences fonctionnelles multiples, sur le plan locomoteur et neuropsychologique. La rééducation fonctionnelle constitue l’un des éléments essentiels de la prise en charge. Son impact dépend de la qualité des structures existantes et du contexte socio-économique et culturel de chaque pays.

Objectif

Le but de ce travail était d’identifier les différents problèmes qui se posent à la prise en charge rééducative des hémiplégiques vasculaires en Côte d’Ivoire afin d’en améliorer l’efficacité.

Méthodes

Il s’agit d’une étude rétrospective portant sur 176 dossiers de patients hémiplégiques vasculaires suivis pendant six ans dans le service de rééducation fonctionnelle du CHU de Yopougon à Abidjan. Ont été étudiés les caractéristiques cliniques, la qualité du bilan fonctionnel, les modalités de suivi de la rééducation, le statut fonctionnel à un an et les facteurs socio-culturels.

Résultats

Aucun patient n’avait bénéficié de rééducation précoce pendant l’hospitalisation initiale. 36.8 % des patients ont été reçus en rééducation fonctionnelle après le 3è mois d’évolution. Le bilan fonctionnel n’a pas systématiquement recherché de troubles neuropsychologiques associés, en dehors de l’aphasie mentionnée dans 14.2 % des cas, de même qu’il n’a pas fait appel à des échelles standardisées pour apprécier le degré d’autonomie. L’ergothérapie était absente et la rééducation orthophonique n’a pas été suivie. 49.4 % des patients ont abandonné précocement leur rééducation ou ne l’ont même pas débutée. A un an d’évolution, 62.02 % des patients gardaient encore d’importantes séquelles fonctionnelles.

Conclusions

L’insuffisance de l’évaluation fonctionnelle, l’absence de thérapeutique complémentaire à la kinésithérapie et les difficultés économiques sont les principaux problèmes rencontrés dans la prise en charge des hémiplégiques vasculaires. Une plus grande rigueur dans la prise en charge, l’application des politiques de réhabilitation à base communautaire et la sensibilisation des pouvoirs publics quant à l’importance des mesures sociales en faveur des personnes handicapées sont nécessaires pour un meilleur devenir fonctionnel des hémiplégiques.

Mots clés : Afrique, Hémiplégie vasculaire, Rééducation Fonctionnelle


ABSTRACT

Background

Cerebrovascular accidents may cause impairments of m otor, sensory and neuro psychological aspects. Rehabilitation is of paramount importance to reduce the physical and neuropsychological disabilities due to stroke. The outcome depends on the severity of the impairment, the cultural and economic factor.

Objective

To evaluate the current rehabilitation practice in Abidjan with the aim of identifying problems encountered and hence suggest the appropriate improvements.

Methods

This is a retrospective study concerning 176 cases of cerebrovascular accident recorded over a six years period in a rehabilitation department in Abidjan (Côte d’Ivoire). Demographic characteristics, clinical data, initial functional assessment, rehabilitation care and functional status one year after stroke were analysed.

Results

Most of the patients started rehabilitation care after discharge from the hospital, and 36.8 % of them were admitted after the C.V.A. 3 months. Initial functional assessment failed to assess neuropsychological impairments except aphasia. The rehabilitation care consisted only of physical therapy, but neither occupational nor speech therapy were available. One year after stroke, 62.02 % of the patients were still dependent for their daily living activities or unable to return to their previous work.

Conclusion

Lack of initial functional assessment, absence of early rehabilitation care, physical therapy, and speech therapy are the main obstacles identified. Moreover, sociocultural behaviour and scarcity of appropriate policies favourable to disabled persons limit these patients socioprofessional reintegration.

Keywords: Africa, Rehabilitation, Stroke

INTRODUCTION

L’hémiplégie vasculaire est une pathologie fréquente en Côte d’Ivoire [9]. Son retentissement social peut être majeur en raison des graves séquelles qui peuvent en découler et la rééducation fonctionnelle reste une composante essentielle de la prise en charge du patient hémiplégique [2, 7, 8, 10, 11, 12]. Pour faire face à la diversité des troubles engendrés par la lésion cérébrale, la rééducation fait appel à plusieurs compétences. La précocité et la régularité de la prise en charge contribuent à une bonne récupération fonctionnelle et une meilleure réinsertion sociale de l’hémiplégique. La qualité et l’efficacité de cette rééducation sont dépendantes de la qualité des structures existantes mais aussi des politiques sociales en vigueur dans chaque pays et de l’environnement économique et culturel. Le but de cette étude était d’analyser la prise en charge rééducative des hémiplégiques vasculaires à Abidjan afin de dégager les difficultés et les spécificités d’une telle prise en charge dans un pays en voie de développement comme le nôtre.

POPULATION ET METHODE

Nous avons procédé à l’analyse rétrospective des dossiers de 176 patients hémiplégiques vasculaires. Tous ces patients ont été reçus dans le service de rééducation fonctionnelle du CHU de Yopougon à Abidjan, sur une période de six années (de 1992 à 1997). Ce service est le plus important des trois services de rééducation existant dans le secteur hospitalier public et est situé dans la commune la plus peuplée d’Abidjan, soit environ 600.000 habitants pour 2.900.000 que compte la ville d’Abidjan [5]. Il dispose en son sein de Médecins et de Kinésithérapeutes et offre des soins en ambulatoire.
Ont été retenus, les dossiers des sujets adultes âgés de plus de 15 ans, d’origine africaine, résidant en Côte d’Ivoire et adressés dans ledit service avec le diagnostic d’accident vasculaire cérébral, quels qu’en soient l’ancienneté et le traitement antérieur.
Plusieurs paramètres concernant les aspects socio-démographiques et cliniques, la prise en charge rééducative et l’évolution ont été recueillis et analysés. Nous avons eu recours à l’échelle d’évaluation d’autonomie de Dudognon [4] pour apprécier le degré de handicap à un an, au vu des informations disponibles dans les dossiers. Cette échelle définit trois niveaux d’évolution de l’autonomie :
– niveau I : séquelles discrètes = autonomie de la marche et dans les activités de la vie quotidienne ; main plus ou moins déficitaire ; reprise du travail envisageable directement ou après reclassement.
– niveau II : séquelles importantes = autonomie de marche en extérieur ; aide partielle pour les activités de la vie quotidienne; incompatible avec la reprise du travail.
– niveau III : séquelles majeures = dépendance totale ou presque ; marche en extérieur impossible sans aide.

RESULTATS

Données socio-démographiques (tableau I, figure 1)

La composition de la population faisait ressortir une nette prédominance masculine (61.5 %) avec une moyenne d’âge de 53 ans (extrêmes de 25 à 84 ans). Une proportion de 62.5 % des patients avait moins de 60 ans et 50.6 % étaient encore en activité professionnelle au moment de la survenue de l’AVC. Concernant les lieux de résidence, 36.5 % des patients habitaient la commune de Yopougon, 36.5 % provenaient des autres communes d’Abidjan et 27 % résidaient en dehors d’Abidjan.

La majorité des patients provenaient des services de Neurologie et de Neurochirurgie (51.1 %), avec une prédominance d’AVC ischémique (60 % des cas) et d’hémiplégies gauches (55 %). Le déficit moteur était massif dans 32.1% des cas et de répartition proportionnelle dans 65.6 % des cas. Les autres déficiences fréquemment rapportées étaient dominées par les problèmes orthopédiques du membre supérieur homolatéral et notamment de l’épaule, retrouvés chez 42.6 % des patients. Les aphasies ont été signalées dans 14.2 % des dossiers et trois cas d’héminégligence visuelle gauche non confirmés par des tests standardisés ont été rapportés. Sept patients avaient un antécédent d’accident vasculaire cérébral.

Prise en charge rééducative

Bilan initial

De façon systématique, les patients adressés dans le service bénéficiaient d’une consultation auprès d’un médecin avant toute prescription et toute exécution de séances de rééducation fonctionnelle. La première évaluation clinique et fonctionnelle était faite dans le cadre de cette consultation qui avait pour but d’établir un dossier comprenant les données socio-démographiques, l’anamnèse, le bilan fonctionnel et la prescription de rééducation fonctionnelle. Le dossier était ensuite transmis au kinésithérapeute devant prendre en charge le patient. Les patients étaient réévalués par le médecin à la fin des séances de rééducation qui lui ont été prescrites. L’analyse des dossiers a montré que l’intensité et la répartition du déficit moteur ont été précisés respectivement dans 81.2 % et 74.4 % des cas, tandis que le degré d’autonomie pour les activités de la vie quotidienne a été précisé chez 21.6 % des patients à l’occasion de ce bilan initial. Le degré d’autonomie a été cependant apprécié chez tous les patients qui ont pu être revus après leur programme de rééducation. Cette appréciation était purement qualitative se fondant sur les possibilités de réalisation de quelques activités telles que la prise des repas, l’hygiène corporelle, l’habillement, les déplacements, et n’a jamais fait appel à une échelle d’autonomie standardisée comme l’Index de Barthel. La recherche d’autres paramètres a été également analysée et les résultats sont présentés dans le tableau III. Il s’avère que les troubles neuropsychologiques, les troubles du tonus et les données liées à l’environnement social des patients sont peu recherchés.

Délai de prise en charge

Les délais de prise en charge sont présentés dans le tableau IV. Il apparaît que 35.9 % des patients ont été reçus dans le service de rééducation au cours du premier mois d’évolution, et que 12.4% des patients étaient vus pour la première fois audelà de la première année d’évolution.

Modalités de suivi

Parmi les 176 patients reçus dans le service, 12 patients soit 6.8 % ont sollicité une prise en charge à domicile pour des raisons de commodité. Tous les autres patients ont été suivis en ambulatoire et aucun patient n’a débuté sa rééducation pendant la période de son hospitalisation initiale.

Nature de la rééducation

La rééducation fonctionnelle qui était proposée aux patients se résumait à la kinésithérapie. Aucun patient n’a eu droit à des séances d’ergothérapie ni d’orthophonie. La kinésithérapie se déroulait à un rythme de trois séances par semaine. Les prescriptions se faisaient par tranches de 15 ou 20 séances renouvelables en fonction de l’évolution, le coût d’une séance étant de 2000 CFA (3e).
Les protocoles de rééducation ont fait appel essentiellement à la méthode neuro-orthopédique privilégiant la rapidité d’acquisition d’une autonomie locomotrice (verticalisation et marche) à la qualité de la récupération fonctionnelle. Le renforcement musculaire et la bicyclette ergométrique ont été fréquemment utilisés dans le cadre de cette rééducation.

Observance du traitement

Le suivi de la rééducation n’a pu être réalisée chez 87 patients soit 49.4 %, se traduisant par un abandon des séances avant la fin de la première tranche de prescription. Pour les 89 autres patients soit 50.6 %, le nombre moyen de séances réalisées a été de 21,1 séances avec un maximum de 60 séances, pour une durée moyenne de traitement de deux mois. Lorsqu’un minimum d’autonomie était acquis, notamment à la marche, la rééducation était quelquefois poursuivie à domicile avec l’aide de la famille, en suivant quelques indications données par le kinésithérapeute ou le médecin-rééducateur. Le patient continuait toutefois de bénéficier d’un suivi médical sous forme de consultations de contrôle. La durée moyenne de ce suivi médical a été de 5 mois, avec un maximum de 36 mois.

Mesures sociales

Sur le plan social, le service ne dispose pas de personnel qualifié qui aurait en charge les problèmes de réinsertion sociale et professionnelle des patients.

Evolution

Le statut fonctionnel un an après l’accident vasculaire cérébral a été apprécié chez 129 patients. Il en est ressorti que 66.6 % des patients conservaient un déficit moteur après un an, que 64.9 % des patients avaient une préhension déficitaire et non fonctionnelle et que 8.41 % n’avaient pas encore récupéré une marche autonome. Concernant le degré de handicap, 62.02 % des patients gardaient encore à un an, des complications fonctionnelles importantes ou majeures, susceptibles d’entraver la reprise des activités professionnelles antérieures ou de limiter l’autonomie dans les activités de la vie quotidienne (niveaux II et III de Dudognon). Parmi les patients qui ont été revus après un an d’évolution, 41 d’entre eux avaient une activité professionnelle au moment de la survenue de l’AVC. Treize patients ont pu reprendre le travail dont trois après changement de poste, seize patients n’avaient pas encore repris le travail etaucune information n’avait été recueillie chez douze autres.

COMMENTAIRES

L’appréciation qui a pu être faite des conséquences fonctionnelles et de l’évolution de l’hémiplégie vasculaire laisse entrevoir la gravité de cette affection au plan fonctionnel et social en Côte d’Ivoire. En effet, après un an d’évolution, 66.6 % des patients conservaient un déficit moteur qui était partiel dans les trois-quarts des cas. Les complications orthopédiques au niveau de l’épaule (douleur, subluxation, algodystrophie) ont été retrouvées chez 42.6 % des patients. L’épaule douloureuse est un problème fréquemment rapporté chez l’hémiplégique et les proportions que nous retrouvons se situent dans les intervalles rapportés dans la littérature [13, 14]. Sur le plan fonctionnel, la récupération de la marche est classiquement de bon pronostic [1, 3], ce qui se confirme dans notre série puisque 91.5 % des patients ont acquis une marche autonome. Cependant, les anomalies étaient fréquentes au niveau de la qualité de cette marche à type de fauchage, de steppage, d’instabilité ou de lenteur. Ces anomalies constituaient des stigmates visibles de la maladie et demeuraient une préoccupation pour les patients. Seulement 35.1 % des patients ont récupéré une préhension jugée fonctionnellement satisfaisante, c’est à dire permettant une utilisation courante du membre supérieur dans les activités de la vie quotidienne et dans la vie professionnelle. La récupération fonctionnelle du membre supérieur a toujours constitué un véritable écueil dans la rééducation de l’hémiplégique [6, 8]. En effet, on estime que moins de 20 % des patients présentant initialement un déficit moteur sévère pourront récupérer une main fonctionnelle. Les chiffres nettement plus élevés que nous avons retrouvés s’appliquent à des patients qui avaient un déficit moteur initial d’intensité variable et ne reflètent donc pas une meilleure récupération fonctionnelle, comparativement aux données de la littérature [6, 8]. En terme de handicap final, il est apparut que 62 % des patients présentaient à un an une perte ou une limitation importante de leur autonomie pour les activités de la vie quotidienne et pour la vie professionnelle. Bileckot et al [2] à Brazzaville rapportaient des résultats meilleurs avec un taux comparatif de 46.3 %. Les populations d’hémiplégiques étaient comparables sur le plan socio-démographique, mais la prise en charge était beaucoup plus précoce (82 % des patients reçus avant le soixantième jour) et plus prolongée (en moyenne de trois mois). LE Thiec et al en France [7], trouvaient une proportion de 40.2 % de patients aux stades III et IV de l’échelle de Rankin à un an d’évolution. Les approches méthodologiques différentes rendent les résultats difficilement comparables d’une étude à l’autre. Par ailleurs, le caractère rétrospectif de notre étude, avec des données parfois imprécises ou absentes, et le nombre élevé de perdus de vue doivent rendre prudente l’appréciation des résultats.

Quoiqu’il en soit, l’analyse de ces dossiers nous a permis de constater quelques insuffisances dans la prise en charge rééducative des hémiplégiques vasculaires en Côte d’Ivoire. L’évaluation fonctionnelle de ces patients nous est apparue très incomplète et notamment sur le plan neuropsychologique. Les syndromes de négligence, les troubles praxiques et gnosiques n’ont jamais été recherchés de façon formelle, et seules les aphasies évidentes de type Broca ont été rapportées dans les dossiers. Le bilan fonctionnel était empirique et ne faisait pas appel à des échelles d’évaluation fonctionnelle telles que la Functional Ambulation Classification (FAC) pour la marche ou le Barthel Index pour le niveau d’autonomie par exemple. L’utilisation plus systématique de ces échelles serait d’une grande utilité pour une meilleure évaluation fonctionnelle des patients, car fournissant des données précises, reproductibles d’un examinateur à l’autre et comparables. La réalisation et l’utilisation d’un dossier pré-établi incluant les éléments-clés à rechercher et les méthodes d’exploration pourraient apporter plus de rigueur dans ce bilan fonctionnel.
Les insuffisances sont retrouvées également au niveau du traitement. La charge de travail des kinésithérapeutes, en nombre insuffisant, reste élevée malgré la présence à leurs cotés d’auxiliaires bénéficiant d’une formation pratique rudimentaire et appelés très tôt à prendre en charge des patients. L’insuffisance du nombre de thérapeutes et la conception parfois erronée que certains d’entre eux ont pu avoir de l’hémiplégie, vue comme une simple paralysie, ont certainement favorisé certaines attitudes thérapeutiques expéditives et inadaptées. En effet, le recours à certaines techniques rééducatives qualifiées à juste titre de “fossiles” [8] et orientées vers le renforcement musculaire et l’endurance (travail contre résistance, vélo de rééducation, etc….) n’est pas rare. L’absence totale de soins complémentaires à la kinésithérapie a pu réduire sensiblement l’efficacité de celle-ci.L’ergothérapie est inexistante par manque de spécialiste et les séances d’orthophonie sont peu accessibles à la majorité de la population compte tenu de la rareté des orthophonistes et du coût relativement élevé des séances dans le secteur privé (15.000 CFA = 23e). Par ailleurs la prise en charge orthophonique des patients analphabètes pose problème dans la mesure où le support linguistique utilisé est le français.

Enfin les problèmes d’ordre social, économique et culturel ont contribué à leur tour aux difficultés de la prise en charge. En effet, les politiques de réinsertion socioprofessionnelle des personnes handicapées sont encore timides voire inexistantes dans nos pays. Le faible pouvoir d’achat de la population comme le faisait remarquer également Bileckot au Congo [2] est un facteur important d’abandon thérapeutique, surtout lorsque la prise en charge s’avère particulièrement longue comme c’est le cas pour l’hémiplégie. Il se pose aussi un réel problème d’accessibilité des structures de soins en rapport avec l’éloignement géographique des patients et les difficultés du transport urbain (insuffisance et inadaptation des transports publics, coût élevé du transport en taxi). Sur le plan culturel, le recours fréquent au traitement traditionnel qui se présente sous des modalités diverses a été quelquefois accusé d’aggraver la spasticité et les douleurs de l’épaule avec un risque accru de syndrome algodystrophique [2]. La richesse de l’environnement humain et parfois la polygamie sont apparues également comme des éléments susceptibles de limiter le désir d’autonomie [2]. Certains interdits culturels contribuent aussi à maintenir la dépendance vis-à-vis d’un tiers ; par exemple un patient hémiplégique gauche, refusant d’utiliser sa main droite pour se servir du papier hygiénique, resterait dépendant d’une tierce personne pour ses besoins. En effet, dans certains milieux traditionnels, il est interdit d’utiliser la main droite pour réaliser des activités perçues comme … souillantes ! Le suivi de ces principes culturels sera d’autant plus rigoureux que l’individu sera très attaché aux traditions (vivant en milieu rural), qu’il sera marié ou qu’il sera âgé.

CONCLUSION

Plusieurs problèmes sont susceptibles d’altérer la qualité de la récupération fonctionnelle et de la réinsertion sociale des hémiplégiques en Côte d’Ivoire. Pour y faire face, en dehors des mesures visant à améliorer les structures de soins et l’aide sociale, une meilleure attitude thérapeutique du personnel soignant et de la famille s’impose. Une meilleure évaluation fonctionnelle des patients prenant en compte les désordres neuropsychologiques s’avère nécessaire. Il convient également de renforcer la prise en charge de ces patients en y associant des principes d’ergothérapie pour lesquels la famille devrait être impliquée, et en insistant sur la nécessité de la notion d’autonomie. Dans cette perspective, les programmes de réhabilitation à base communautaire devraient être véritablement mis en œuvre en Côte d’Ivoire. Il importe enfin de mieux faire connaître l’hémiplégie vasculaire à l’ensemble du personnel soignant, sur le plan de ses mécanismes, de ses conséquences cliniques et de ses principes de rééducation. C’est à ce prix que nous réussirons à améliorer la prise en charge de ces patients malgré nos conditions de travail difficiles.

* Les résultats préliminaires de ce travail ont fait l’objet d’une communication au troisième congrès de Neurologie Tropicale – Fort De France (Martinique), 30 novembre au 02 décembre 1998.

COMMENTAIRE
Il s’agit d’une étude rétrospective sur 176 dossiers de patients hémiplégiques vasculaires pris en charge à Abidjan. Les auteurs font une analyse lucide des limites de cette étude liées à son caractère rétrospectif mais également aux difficultés de prise en charge liées au mode de fonctionnement et aux moyens humains dont ils disposent. Leurs remarques critiques sont indiquées dans les commentaires et la conclusion.
Le manque de thérapeutes spécialisés dans la rééducation influe à l’évidence sur les possibilités de prise en charge des A.V.C. Cependant, il nous semble que 3 éléments sont également déterminants :
Le niveau de formation et de compétence des membres de l’équipe soignante, aussi bien des infirmières, aides-soignantes, que des paramédicaux de la rééducation. En effet, leur rôle est essentiel dans le dépistage de certaines déficiences et dans la prévention de plusieurs complications.

  • Par exemple les infirmières, après apprentissage et sous la responsabilité du médecin, peuvent réaliser les tests cliniques à la recherche d’un trouble de la déglutition afin de mettre en œuvre des mesures simples de prévention des fausses-routes.
  • De même, la tenue d’un simple catalogue mictionnel permet d’assurer le suivi et parfois la rééducation des troubles mictionnels.
  • De même, tous les membres de l’équipe peuvent participer à la détection de la survenue d’un état dépressif.
  • Chaque membre de l’équipe doit, dans son domaine de compétence, participer à la prévention de l’algodystrophie de l’épaule et du syndrome épaule-main et, d’une façon générale, à la bonne installation du patient.

L’utilisation des outils de surveillance, en particulier des échelles d’évaluation, nécessite un apprentissage assez simple.
Il s’agit des échelles d’évaluation des déficiences (évaluation du mouvement actif, de la spasticité, des troubles du langage au lit du malade, de l’héminéglicence spatiale et corporelle…) et d’incapacité fonctionnelle (l’index de Barthel et si possible la MIF).
Un dossier unique AVC doit être élaboré dès l’hospitalisation en service aigu, qu’il s’agisse du Service de Neurologie, de Neurochirurgie ou de tout autre service de Médecine ou de Réanimation. Sur le plan du fonctionnement, un changement de mentalité est nécessaire, aussi bien en Afrique qu’en France. La rééducation et la réadaptation doivent être intégrées dès la phase aiguë à l’ensemble des soins. Pour ce faire, des membres du Service de Médecine Physique et de Réadaptation doivent pouvoir intervenir en complémentarité avec l’équipe de soins du Service aigu. La création d’une filière AVC est nécessaire à l’amélioration de la prise en charge.
Cette approche conceptuelle et cette évolution dans l’organisation des soins en filières AVC sont encore loin d’être acquis en France. L’étude de cette série met en évidence quelques spécificités des AVC en Côte d’Ivoire :

  • particularité démographique : moyenne d’âge basse, 53 ans; de ce fait, 1 patient sur 2 est en activité professionnelle au moment de l’installation de l’AVC.
  • délai d’admission : 35,9 % des patients sont reçus au cours du premier mois d’évolution mais 36,8 ne sont reçus qu’au-delà du 3ème mois. Il est évident qu’une intégration très précoce des soins de rééducation dès la phase aiguë résoudrait en partie le problème de ce long délai d’admission.
  • prise en charge en ambulatoire, les patients venant en soins externes dans le service de Rééducation Fonctionnelle du CHU de Yopougon à Abidjan.
  • techniques de rééducation : méthodes neuro-orthopédiques, pas d’utilisation semble-t-il de la technique de Bobath ni de la technique de Perfetti.
  • abandon dans 1 cas sur 2 avant la fin de la première série de rééducation (série de 15 à 20 séances) de sortie que dans 1 cas sur 2, la durée du traitement n’excède pas 2 mois ; les malades reçoivent 21 séances en moyenne.
  • l’évaluation de la réinsertion socio-professionnelle est rendue difficile : seuls 41 patients sur les 88 qui, au moment de l’AVC, étaient en activité professionnelle ont été revus et 13 seulement ont pu reprendre un travail.
  • l’évolution fonctionnelle est difficile à évaluer un an après l’AVC car sur 176 patients, 129 seulement ont été revus (ce qui est un bon chiffre). Sachant qu’un tiers des cas présentait initialement une hémiplégie massive , on est étonné de ne retrouver sur 8,41% de patients qui n’ont pas récupéré une marche autonome. Il est probable que la plupart de ceux qui n’ont pas été revus correspondait aux cas les plus sévères.

Les échelles d’indépendance fonctionnelle tel que le Barthel ont une bonne valeur prédictive du devenir et du niveau d’autonomie à moyen terme ainsi qu’une valeur indicative concernant les décisions d’orientation ultérieure vers le domicile ou vers une institution. Il est probable que dans les conditions d’exercice à Abidjan, la seule possibilité de devenir soit le retour à domicile compte-tenu du rôle important de la famille et de l’environnement social. AU TOTAL, article très intéressant et qui donne une bonne information sur les modalités et les difficultés de prise en charge des AVC à Abidjan.
Pr. DUDOGNON (CHU Limoges – France)

Fig. 1 : Répartition des patients par tranche d'âge

Fig. 1 : Répartition des patients par tranche d’âge

Tableau I : Caractéristiques socio-démographiques

Variables Nombre %
Sexe
Hommes 109 61.5
Femmes 67 38.5
Situation conjugale*
Mariés** 87 74.4
Non mariés*** 30 25.6
Situation professionnelle
En activité 89 50.6
Femmes au foyer 53 30.1
Sans activité 34 19.3

* = précisée chez 117 patients
** = Mariés : mariage légal, mariage traditionnel, concubinage
***= Non mariés : célibataire, divorcé(e), veuf(ve)

Tableau II : Données cliniques

Variables Nombre %
Nature AVC*
Ischémique 68 60
Hémorragique 44 40
Hémicorps atteint
Droit 79 45
Gauche 97 55
Autres déficiences
Aphasies 25 14.2
Orthopédiques** 75 42.6
Incontinence urinaire 7 3.9

* = précisée chez 112 patients
** = subluxation épaule (22 cas) ; douleurs épaule (25 cas) ; syndrome épaule-main (19 cas) ; para-ostéo-arthropathie (3 cas) ; raideurs doigts, pied équin (14 cas)

Tableau III : Analyse du contenu du bilan fonctionnel

Variables Nombre de dossiers (n = 176) %
Données sociodémographiques
Profession 176 100
Situation conjugale 117 66.5
Logement* 0 0
Données fonctionnelles
Intensité déficit moteur 143 81.2
Répartition déficit moteur 131 74.4
Sensibilité 123 69.8
Tonus 80 45.5
Marche 170 96.6
Préhension 137 77.8
Fonctions supérieures** 28 15.9
Autonomie (vie quotidienne) 38 21.6

* = Type de logement ; accessibilité.
** = Troubles du langage (25 cas) ; héminégligence (3 cas)

Tableau IV : Délai de prise en charge en rééducation

Période Nombre %
0 à 1 mois 63 35.9
2 à 3 mois 48 27.3
4 à 6 mois 18 10.2
7 à 12 mois 25 14.2
Après 12 mois 22 12.4
Total 176 100

Tableau V : Autonomie à 1 an selon l;échelle de Dudognon

Niveaux d’autonomie Nombre %
Niveau I 49 37.98
Niveau II 68 52.71
Niveau III 12 9.31
Total 129 100

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