CLINICAL STUDIES / ETUDES CLINIQUES
L’EPILEPSIE EN MILIEU SCOLAIRE : ENQUETE CHEZ LES ENSEIGNANTS DE LA VILLE DE KATI AU MALI ET REVUE DE LA LITTERATURE
EPILEPSY AT SCHOOL: A SURVEY WITH TEACHERS AT THE CITY OF KATI, MALI, AND A REVIEW OF THE LITERATURE
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RESUME Introduction Résultats Conclusion Mots clés : Epilepsie, Ecole, Enseignants, Mali, Pratiques. SUMMARY Introduction Results Conclusion Keywords : Epilepsy, Mali, Practices, School, Teachers INTRODUCTION La prévalence de l’épilepsie en Afrique subsaharienne est élevée [20, 14]. Au Mali, cette prévalence se situe à 15,6 pour 1000 [6]. La prévalence spécifique en milieu scolaire est estimée à 13 pour 1000 [18]. Les raisons socio- économiques et environnementales, les pathologies infectieuses, notamment les parasitoses dont le neuropaludisme endémique dans le pays, et la consanguinité courante semblent expliquer cette situation [14]. En outre, l’épilepsie est associée à des croyances erronées et stigmatisantes que l’évolution des connaissances scientifiques n’arrive pas à faire évoluer [3]. Cette méconnaissance sévit, non seulement au sein de la population générale, mais aussi dans le milieu scolaire. Ainsi, l’un des sujets les plus importants en épileptologie est la prise en charge de l’enfant épileptique et son insertion sociale [15]. En effet, les enseignants ne bénéficient pas, au cours de leur formation, d’informations concernant l’épilepsie. Ne pas avoir appris à détecter et à gérer l’enfant épileptique met l’enseignant en situation de stress. La conséquence pour l’élève épileptique est, très souvent, une éviction scolaire voire sa non-scolarisation. L’inadaptation des épileptiques au milieu scolaire serait moindre si l’attitude de tous ceux qui sont en relation avec l’école était différente, en particulier celle des enseignants [5]. Dans cette dynamique, nous avons mené un travail qui avait pour but d’étudier l’environnement scolaire à travers l’analyse des connaissances, pratiques et attitudes des enseignants des écoles primaires de la ville de Kati au Mali. Les résultats de cette enquête pourraient servir d’outils objectifs d’analyse et d’intervention pour les différents acteurs impliqués : le département de lutte contre les maladies non transmissibles du Ministère de la santé du Mali, les instituts de formations des enseignants et la jeune Ligue Malienne de lutte Contre l’épilepsie. MATERIELS ET METHODES L’étude a été menée dans la ville de Kati (200 000 habitants), située à 15 kilomètres au nord ouest de Bamako, la capitale du Mali. Il s’agit d’une enquête avec recueil de données sur l’épilepsie. Cette étude transversale et descriptive s’est déroulée de février à juin 2009. Elle a permis d’interviewer l’ensemble des enseignants consentants des écoles préscolaires et scolaires de la ville, à l’aide d’un questionnaire anonyme comportant trois parties relatives à :
En octobre 2008, le questionnaire a été pré-testé auprès d’enseignants dans un site (Fana) ayant des caractéristiques socioculturelles similaires à celles de Kati. Le questionnaire a également été pré-testé auprès d’enseignants hors site d’étude, ce qui a permis d’apporter des modifications sur la taille du questionnaire et la formulation des questions. Les données ont été saisies et analysées avec le logiciel Epi info 3.5.1 du CDC d’Atlanta. Des tableaux de fréquence ont été générés. RESULTATS Profil des enseignants interrogés Les 92 enseignants interrogés avaient une moyenne d’âge de 30 ans, 64,1% d’entre eux se trouvaient dans la tranche d’âge de 20-40 ans. Le sex-ratio était de 1,87 en faveur des hommes. Environ 40% des enseignants avaient une ancienneté entre 5 et 10 ans, 25% avaient une ancienneté de plus de 20 ans et seulement 26% avaient une ancienneté de moins de 5 ans. 14 enseignants (15,2%) sont dans l’enseignement préscolaire, 53 (57,6%) dans l’enseignement fondamental (9 premières années d’école au Mali) et 25 (27,17%) dans l’enseignement secondaire (lycée). Connaissances sur l’épilepsie En ce qui concerne l’information sur la maladie, seulement 17 enseignants (18,5%) ont entendu parler de la maladie au cours de leur formation, 24 (26,1%) avec le personnel de santé, un nombre équivalent avec le réseau social (famille, ami, lieux de causerie) et 13 (14,1%) avec des guérisseurs traditionnels. Environ 38% des enseignants attribuaient la maladie à une cause surnaturelle. En revanche, 62% d’entre eux pensaient à une origine organique et incriminaient le cerveau pour 21 d’entre eux (22,8%). Plus de 39% pensaient que l’épilepsie était contagieuse. Les principales voies de transmission incriminées étaient la salive, la sueur et les urines. Pour ces enseignants 39,1% estimaient que l’épilepsie est curable ; 34,8% disaient qu’elle est incurable et 26,1% n’en savaient rien. En revanche, 83,7% faisaient confiance à la médecine moderne pour traiter l’épilepsie. Quant aux manifestations cliniques de la maladie, la crise tonico-clonique, avec ou sans perte d’urine ou de bave, était la plus connue (84% des enseignants). Le tableau I résume les manifestations des crises d’épilepsie et le tableau II les facteurs déclenchant des crises, selon les enseignants. En ce qui concerne le risque potentiel pendant la crise, pour 41% des enseignants l’enfant risque un traumatisme mortel et 41% citent la survenue d’une blessure mortelle. Vie sociale et scolaire des enfants épileptiques Attitudes et gestes des enseignants devant une crise DISCUSSION Notre travail, à l’instar des autres réalisés en Afrique et dans d’autres pays en développement, confirme, au Mali, d’une part, les données relatives à la mauvaise perception et, d’autre part, l’importance des croyances erronées sur l’épilepsie dans la communauté en général, mais aussi chez les enseignants (1,2,3,4,5). Ce travail nous a permis, en outre, d’évaluer le malaise et les difficultés des enseignants face à l’élève épileptique. Cette situation est inhérente à la persistance des préjugés négatifs sur cette maladie [3]. Ainsi, de nombreux épileptiques vivent cachés à cause du poids social. Au Mali, le terme « kirikiri masien » veut dire « celui qui convulse ». Cette représentation des crises tonico-cloniques a, en réalité, une arrière-pensée assez péjorative. De plus, la méconnaissance des causes et des possibilités de traitement de l’épilepsie est souvent à l’origine de la marginalisation des personnes atteintes [10]. Environ 38% des enseignants attribuaient la maladie à une cause surnaturelle. Cependant, il faut signaler que cette méconnaissance des étiologies de l’épilepsie est plus importante dans la population générale au Mali que dans le milieu des enseignants, ces derniers ayant un niveau intellectuel relativement élevé dans un pays qui compte l’un des taux de scolarisation le plus faible au monde. Dans une étude communautaire que nous avons réalisée auprès des parents d’enfants épileptiques, 49% des personnes interrogées accordaient à la maladie une origine surnaturelle [10]. Au Sénégal, une enquête similaire chez les enseignants a montré que 28% des personnes interrogées liaient l’épilepsie à des phénomènes surnaturels [5]. En revanche, au Zimbabwe et en Thaïlande, seuls respectivement 0,6% et 9% des enseignants évoquaient une origine surnaturelle [7, 11]. Cette différence s’explique par l’importance de la dimension socioculturelle de la maladie au Mali. En effet, il est admis que les croyances autour d’une maladie sont intimement liées au contexte social et culturel où elle s’inscrit [1]. Au Mali, l’épilepsie est communément désignée en Bambara (langue nationale) par le terme « Nyema » ou « kirikiri masien » qui veut dire « celui qui convulse ». Dans son expression la plus traditionnelle, l’épilepsie est une maladie causée par une possession par des forces surnaturelles. Dans ce contexte, il est classiquement admis que le « kirikiri masien » n’est pas une maladie (« bana tè » en Bambara), tant sa gravité et son caractère insaisissable la distinguent des autres affections [19]. Dans notre enquête, 59% des enseignants interrogés affirmaient que l’enfant épileptique était victime de stigmatisation et 55% pensaient qu’il avait des capacités cognitives moins importantes que l’enfant non épileptique. Enfin, 90% des enseignants relevaient que l’épilepsie pouvait perturber la scolarité de l’enfant du fait principalement de l’absentéisme. Concernant la scolarité, même s’il existe quelques divergences dans l’approche (type d’école, type de formation, impact réel de l’épilepsie sur les résultats scolaires), elle est néanmoins reconnue par les enseignants comme un droit inaliénable (100% de notre effectif). Cette position des enseignants de Kati est conforme aux données de la littérature, plusieurs études ont été réalisées dans une population similaire dans d’autres pays du monde [5, 4, 16]. Une revue de la littérature dans les pays en développement montre que l’enfant épileptique est victime de discrimination dans la plupart des pays, cependant la majorité des enseignants lui accorde les mêmes droits que les enfants non épileptiques, le tableau IV résume la synthèse de la revue de la littérature [2, 9, 12, 13, 15, 17]. Enfin, la quasi-totalité des enseignants interrogés au cours de cette enquête ont apprécié notre démarche, à savoir recueillir leurs impressions sur une pathologie angoissante relativement fréquente à l’école, mais peu connue des enseignants. Ils ont souhaité la poursuite de ce type d’échanges et ont surtout exprimé un besoin de formation en matière de prise en charge globale de l’enfant épileptique. Dans notre cas où l’ensemble des enseignants a exprimé un besoin de formation en matière de prise en charge de l’enfant épileptique, l’acquisition d’une compétence dans ce domaine devient pour eux un besoin impératif de formation personnelle. Cette dynamique motivationnelle est de nature à favoriser l’apprentissage et doit être entendue par les responsables de la formation des enseignants. Nous pouvons à cet effet nous référer aux principes de l’andragogie définis par Knowles [8]. CONCLUSION Notre étude confirme le déficit d’information et le malaise des enseignants à faire face à l’enfant l’épileptique. Le problème de l’épilepsie et ses conséquences négatives sur le développement psychomoteur et l’insertion sociale de l’enfant scolarisé justifient qu’une attention particulière soit portée par les autorités publiques (Ministère de la santé et Ministère de l’éducation).Si rien n’est fait pour minimiser les conséquences négatives de cette pathologie à l’école, l’épilepsie devient, outre un problème de santé publique, un problème de développement en empêchant une scolarité normale chez une couche importante des enfants en âge scolaire. Face à cette situation et de manière à « inverser la tendance » sur l’ensemble de la population actuelle d’enseignants, il serait nécessaire d’agir sur le contenu de la formation initiale des futurs enseignants et également sur celui de la formation continue des enseignants en poste.
Tableau I : Manifestation des crises d’épilepsie Manifestation of epileptic seizures
Tableau II : Facteurs déclenchant les crises selon les enseignants Factors triggering epileptic seizures, according to teachers
Tableau III : Perception socioculturelle et vie sociale de l’enfant épileptique Social and cultural perceptions and social life of epileptic patient
Tableau IV : Connaissance de l’épilepsie chez les enseignants: comparaison de plusieurs études
REFERENCES
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